mercredi 15 juillet 2015

Ni hasard ni justice : Froome écrase le Tour

Le peloton a quitté Tarbes vers La Pierre-Saint-Martin (167 km), mardi 14 juillet, sans l’Italien Ivan Basso, qui a annoncé souffrir d’un cancer à un testicule. Première arrivée au sommet: Christopher Froome gagne l’étape et fait le ménage.

Ivan Basso.
 
La Pierre-Saint-Martin (Hautes-Pyrénées), envoyé spécial.
Le cancer frappe paraît-il au hasard ; n’y voir aucune justice immanente ; a priori. La caravane a quitté Tarbes, hier, en direction des Pyrénées tant redoutées, et les suiveurs avaient au fond du cœur autant d’empathie que de questions sans réponse. Un coureur manquait à l’appel, un Italien, Ivan Basso, 37 ans, ex-gloire des années Armstrong qui, à l’image de l’Américain, ruisselait jadis de bonheur et d’arrogance dans les exactions sans frein d’un cyclisme à la dérive. Vainqueur à deux reprises du Giro (2006 et 2010) et dauphin du Texan en 2005 sur le Tour, l’actuel capitaine de route d’Alberto Contador a donc annoncé qu’il souffrait d’un cancer à un testicule. Le mimétisme avec Armstrong – lui-même victime de cette maladie en 1996 qui faillit le faucher dans sa jeune vie –,  avait de quoi troubler jusqu’aux plus incrédules d’entre-nous.

Lors d’une conférence de presse organisée durant la journée de repos, lundi à Pau, Ivan Basso, l’œil vif et la tête haute, a confirmé qu’il quittait l’épreuve, qu’il allait être opéré d’urgence avant de débuter un tout autre combat, le plus important de son existence. Flanqué d’un Alberto Contador en pleurs, Basso a expliqué qu’il avait ressenti une «vive douleur», conséquence d’une chute subie dans la cinquième étape.
«J’ai consulté un cancérologue de Pau, a-t-il confessé. C’est cette chute qui a déclenché la douleur. Il m’a surtout dit que sans cette chute et cette douleur, j’aurai peut-être attendu deux ans avant de savoir que j’avais un cancer. Il m’a dit: ‘’C’est quelque part une chance pour vous que vous soyez tombé car ce genre de cancer se guérit très bien s’il est pris à temps.» Les cyclistes affirment souvent qu’une chute n’est jamais le fruit du hasard, que la course s’effeuille comme une fleur solitaire, folle et pleine de sagesse quand elle égrène le meilleur et le pire. Le pire vient de survenir pour lui, bien qu’il ait déjà connu les affres du dopage lors de la fameuse affaire Puerto en 2006, l’un des plus grands scandales du cyclisme. Accusé «d'usage de substance ou de méthode dopante», il fut condamné par la justice italienne à deux ans de suspension. La tumeur dont il souffre désormais n’en serait qu’à un stade très précoce. Qu’on se le dise. Même un (ex?) tricheur assiégé par son corps en révolte ne mérite la sanction suprême de la maladie.

Hier, c’était donc 14 Juillet. Changement de décor, sous un soleil harassant.
Le peloton cheminait paisiblement vers La Pierre-Saint-Martin, une montée sèche de 15,3 km à 7,4% de moyenne, au-dessus du col de Soudet, première ascension hors-catégorie. Et le Tour bascula dans le langage singulier des puissants normés pour s’élaborer en élévations. Ces clergymen des montagnes oublient en général les calculs et jettent sur la route des serments éthérés. Nairo Quintana est de ceux-là. Et pourtant. Lorsque le Britannique Christopher Froome, très exactement à 6,4 km du sommet, décida d’accélérer, le pur-sang colombien, vainqueur du Giro l’an dernier et roi des pentes, sentit l’imminence du K-O souffler sur ses épaules. Battu de 1’04 sur la ligne d’arrivée par le maillot jaune, et même humilié par le coéquipier de Froome, Richie Porte, venu lui voler la deuxième place de l’étape dans un effort improbable. Les Sky laissent sans voix.


Chris Froome.

Stupéfaction de voir Froome singer Armstrong jusque dans la tactique : assommer le Tour dès la première arrivée en altitude, les mains en haut du guidon et la tête basse, tournant les jambes à grands coups de moulinets comme tiré par un élastique invisible ou propulser par un secret bien gardé. Depuis longtemps les autres favoris avaient rendu les armes. Du grand ménage, avec lessiveuse et service compris. Alberto Contador (à 2’50) et Vincenzo Nibali (à 4’27) furent rabaissés, eux aussi, au rôle de figurants. Et puis il y eut les autres, tous les autres. Sans parler des Français, un jour de Fête nationale, symbole de déroute. Laminés, les Bardet, Perraud, Pinot et même Barguil, victime en début d’étape d’une mauvaise chute qui lui laissa un genou meulé et un handicap supplémentaire à surmonter. Seul Pierre Rolland, courageux en diable, sauva l’honneur et ne concéda que 2’03.

La veille, à Pau, le maire François Bayrou, avait inauguré l'exposition « le Tour des Géants », composée de totems à taille humaine, à moins que ce ne soient des stèles plantés comme dans un cimetière américain, au nombre de 104, immortalisant tous les vainqueurs depuis 1903. Froome y figurait déjà et plus personne ne parlait de Basso. Le chronicoeur n’avait pas l’âme en joie. Il n’y a ni hasard ni justice.

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 15 juillet 2015.]

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