jeudi 2 avril 2015

Notabilisation(s): la chute du socialisme local?

L’option sociale-libérale de Normal Ier, une machine à autodétruire le PS.
 
Désastre. Pour les journalistes aussi, chaque situation possède deux faces. L’une en pleine lumière, où l’exactitude et la minutie de la description s’avèrent à la fois possibles et nécessaires. Mais il y a aussi l’autre moitié dans l’ombre, et que nous ne pouvons décrire sans forcer les portes du réel, souvent elles-mêmes emportées par l’irrésistible courant de conscience dès qu’elles s’entrouvrent. Depuis dimanche soir, dans les états-majors socialistes (à Solférino, au Palais, à Matignon ou dans les cabinets ministériels), tous nos interlocuteurs mélancolisent leurs propos, flirtant avec l’irrationnel, voire l’ultra-pessimisme, comme si l’Histoire, à force de vouloir en sortir, les avait tous rattrapés à coups de crocs. «S’il fallait raisonner par l’absurde, déclare un avocat du sérail reconverti en conseiller technique ministériel, je dirais que nous avons subi une défaite cuisante dans laquelle chacun peut créditer sa propre analyse, et c’est bien le drame. Nous sommes tous gagnants, car tous perdants!» Un ancien proche de Jean-Marc Ayrault, débarqué depuis l’arrivée de Manuel Valls, précise sans détour: «Bien sûr que la gauche était dispersée à cette élection. Mais à quoi sert de le rabâcher pour justifier une déculottée. L’important, c’est de comprendre pourquoi la politique du gouvernement actuel ne peut pas rassembler sur sa gauche et plonge notre électorat dans l’abstention massive…»
Un énarque de la Cour des comptes, qui, par comparaison, se déclare plus « gauchiste que jamais depuis que Macron a pris les commandes de Bercy » (sic), regrette pour sa part les options économiques libérales qui ruinent «toute crédibilité auprès du peuple qui souffre» et ne renvoient que l’image consacrée d’une «gauche caviar sur le retour». Puis il ajoute, sans rire: «Regardez ce Macron. Il est brillant dans son genre, certes. Mais qu’y a-t-il de gauche en lui? Rien. Avec ce personnage, le libéral reste d’abord libéral, quant au socialiste, on se demande…» Au Palais, un conseiller tente l’analyse sommaire: «Tactiquement, nous ne pouvons pas trop bouger. Nous sentons un frémissement de l’activité économique, même si les résultats se font attendre. Mais ça va venir.» Ce à quoi notre avocat susnommé réplique: «S’ils se contentent d’attendre que la conjoncture soit favorable, nous sommes morts. S’ils continuent à dire: “Le cap sera maintenu! le cap sera maintenu!’’, ce sera même un désastre annoncé. Ils ne se rendent pas compte de l’état réel de la situation sociale et dépressive du pays… Ils sont déconnectés, hors de la vérité. Martine Aubry a raison d’affirmer qu’on ne peut pas se réunir si l’on n’est pas d’accord sur le fond…»

Élus. Et si l’option sociale-libérale, celle choisie en pleine conscience par Normal Ier depuis son élection, était une machine irrésistible à autodétruire le Parti socialiste? Une véritable ambiance de sauve-qui-peut règne dans toutes les sphères socialistes. Et pour cause. Avant 2012, le PS était devenu principalement une organisation de professionnels de la politique locale. Soyons en effet conscients que les assistants d’élus socialistes représentent à eux seuls près de 10% des adhérents du PS, d’ailleurs, un tiers des nouveaux députés élus en 2012 étaient eux-mêmes d’anciens collaborateurs d’élus. «Cette société d’élus», selon l’expression du chercheur Rémi Lefebvre, est désormais profondément et durablement déstabilisée car «la faiblesse du militantisme au PS et son incapacité à politiser de nombreux segments de la société ne sont d’un certain point de vue que l’envers du poids des élus». Et Rémi Lefebvre de conclure: «La “désidéologisation’’ du PS ces dernières années n’est pas sans lien avec sa “notabilisation’’.» Rien à ajouter.
 
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 3 avril 2015.]

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