Le camp d’extermination n’est pas devenu symbolique par hasard: par son unicité, il résume la criminalité du régime nazi. Plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants, d’abord des juifs, y furent massacrés.
Auschwitz I. |
Et soudain, comme une effraction, la confiance en soi s’effrange en déraison. Être déjà venu là, ici et nulle part ailleurs, ne change rien à la conscience altérée, au choc annoncé, à l’intensité prévisible du retour sur les lieux en tant qu’unicité. Le ciel de craie aux tons uniformes du petit matin d’hiver n’arrange rien, tellement irréel qu’on le croirait peint par une main invisible. Que vous arriviez de Katowice ou de Cracovie – les deux grandes villes polonaises les plus proches, distantes de quelques dizaines de kilomètres du plus grand cimetière de l’humanité –, vous laissez toujours dans les rétroviseurs une part de vous-même, l’image figée d’un avant et d’un après qui se brouille à mesure que vous progressez sur des routes extirpées du temps et restées longtemps informes. Dans la voiture, comme un écho dissipé, nous nous murons dans un silence accepté déjà fondu dans un tumulte d’émotions, chaque fois revisité. Nous pensons à Primo Levi: «Bien des mots furent alors prononcés, bien des gestes accomplis, dont il vaut mieux taire le souvenir.» (1)
Trouver Auschwitz par ses propres moyens n’est pas aisé. Ici, c’est Oswiecim (2), et les faubourgs de la ville vous rappellent immanquablement certaines scènes du film de Claude Lanzmann, Shoah. Il faut attendre le premier rond-point, non loin de l’actuelle gare, pour dénicher l’un des rares panneaux indicateurs: «Auschwitz Musée». Vous avez bien lu, un musée. Pour les visiteurs avertis, Auschwitz demeure cette plaie ouverte dont il convient d’examiner sans relâche la nature et le devenir. Le nom même n’est pas devenu symbolique et métaphorique par hasard: plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants y furent assassinés.