jeudi 15 janvier 2015

Hypocrite(s): pour Charlie, l'hommage du vice à la vertu

Liberté-Egalité-Fraternité a connu un éclat retrouvé. Mais il y a un « mais » que nous ne tairons pas.


Peuple. Il y a des moments, dans la vie d’une République originelle comme la nôtre, où nous attendons que surgisse de l’obscurité l’éclat d’une lumière, une forme de sursaut qui, en tant que sursaut, veut creuser l’espoir et non les tombes. Les médias dominants et les puissants qui les cooptent ou les financent nous ont tellement répété ces dernières années que la «société française» (de quoi, de qui parle-t-on?) cherchait son «identité» dans les méandres de ses illusions perdues (lesquelles?) que beaucoup de citoyens de France se sont égarés en impuissance faute de se remémorer des choses simples et fondamentales. Le «Liberté-égalité-Fraternité» titré en une de l’édition spéciale de l’Humanité, un certain dimanche 11 janvier, n’était pas un rappel à l’ordre ronflant ou inutilement donneur de leçons. Bien au contraire. Ce titre, que notre rédaction ne sort pas tous les quatre matins, signifiait juste que par notre ici-et-maintenant se jouait une partie de notre ici-et-demain. Que la réponse démocratique au surgissement d’un événement hors norme devait être si importante, si puissante, qu’il était impensable de ne pas y jeter toutes ses forces, même celles qui venaient à nous manquer. Ainsi, affirmons-le massivement. Dans les rues de France, cette devise Liberté-égalité-Fraternité a connu un éclat retrouvé, une gravité sincère et peut-être même une réalité sociale et populaire que nous n’imaginions pas d’une telle ampleur.
Face à l’histoire, oui, l’histoire, ce gros mot objet de tant de railleries, la société française a été à la hauteur du rendez-vous. Enfin, soyons précis: le peuple a été à la hauteur. Le peuple par millions, le croyez-vous. La sincérité contre le calcul. L’émotion contre l’émotionnel. L’union populaire contre l’union nationale et/ou sacrée. La liberté d’expression contre l’obscurantisme. La politique contre la guerre des civilisations. Non! il ne s’agit pas là d’une vision idéalisée de ce que nous avons tous vu, mais bien – malgré les complexités et l’analyse des conséquences – de l’apparition d’une France citoyenne que nous n’attendions pas aussi combative à l’heure de défendre l’essentiel.

Citoyens. Mais il y a un «mais» que nous ne tairons pas, puisque les non-dits de cette nature ne guérissent pas les contradictions. L’expression du malaise qui suit n’enlèvera rien à ce qui vient d’être écrit plus haut. Car vous aussi, sans doute, avez-vous éprouvé ce malaise, plus ou moins confusément, ce qui ne vous a pas empêché de descendre dans la rue en toute conscience. Oui, vous aussi, vous avez sûrement pensé à l’expression «bal des hypocrites», peut-être même pire, en voyant le spectacle affligeant des récupérations. Ils pleurent des « amis » mais ils ne l’étaient pas. Ils pleurent mais crachaient sur Charb. Ils pleurent mais serrent la main à Netanyahou. Ils pleurent mais ne levaient pas le petit doigt pour sauver Charlie Hebdo du naufrage financier annoncé. Ils pleurent mais reçoivent Fifille-là-voilà à l’Élysée. Ils pleurent mais déroulent le tapis rouge à l’oligarchie financière. Ils pleurent sur nos libertés en danger mais préparent un Patriot Act bien poujado-zemmourien. «L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu», disait La Rochefoucauld. Un jour – mais ce jour n’est-il pas arrivé? – il nous faudra tenter de répondre à la question qui heurte de plein fouet tout ce que nous sommes et tout ce nous essayons de bâtir chaque jour: pourquoi en sommes-nous arrivés là? En attendant, nous avons déjà une certitude, et celle-là se conjugue au futur: le peuple citoyen peut garder la main et maintenir tous les hypocrites sous sa surveillance. Il ne tient qu’à lui, qu’à nous. Oublions l’union nationale; concentrons-nous sur l’union des citoyens.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 16 janvier 2015.]

2 commentaires:

  1. Comme souvent, Jean-Emmanuel Ducoin transcrit bien ce que je ressens. Les pièges de l'Union Nationale, la tentation d'un Patriot Act... Les mois à venir risquent d'être "funestes" pour la gauche radicale ou du moins pour ceux qui se trompent sur le vent dominant. Lequel n'a pas changé mais s'est renforcé après les attentats.
    Le Père Duchesne

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  2. Oui, même si la formulation semble "un brin" complexe et amphigourique, on parlait dans la manifestation d'unité et pas d'union... Il s'agissait d'un hommage aux familles des victimes et pas d'autre chose. Que Nethenayu qui envoyait voici peu des bombes au phosphore sur le peuple palestinien vienne se montrer comme un des tenants de des droits de l'homme, ça crée un malaise... que notre président, François Hollande, chantre de l'austérité et du chômage pour les pauvres et de l'argent facile pour les riches et les actionnaires vienne aussi manifester, laisse un goût amer dans la bouche. Le capitalisme tient le haut du pavé sans coup férir en ce moment et tout semble lui céder facilement. On aurait pu espérer dans cet intense moment d'unité que le gouvernement refuse d'appliquer la loi Macron sur le travail du dimanche ou encore fasse construire ce million de logements nécessaire pour répondre aux besoins citoyens.... Mais, las, il ne faut pas rêver. Le peuple, les gens parlent d'"unité, de sortie de la crise morale, éthique, et de la crise économique, de la liberté de penser, mais ne pensaient pas à cette vieille lune dont nous rabâche les oreilles le P. S. et M. Cambadélis, comme l'U.MP. maintenant, celle de l'union sacrée, la tristement célèbre, celle de la guerre de 1914-1918.
    Par: Dré

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