mardi 16 septembre 2014

Déliquescence(s): doit-on parler de socialistes non-socialistes?

Avec certains socialistes, il y a tricherie autant sur l’intime-en-politique que sur l’idée-en-politique.

Vice. Lorsque les puissants – les vrais, ceux qui se considèrent au cœur et aux commandes du monde – acquièrent la certitude, consciemment ou non, qu’ils ont perdu en centralité une partie de leur pouvoir, ils procèdent souvent eux-mêmes à un étonnant tête-à-queue: ils donnent des leçons à la terre entière alors qu’ils ont définitivement épuisé tout sens de l’intérêt général. La plupart des socialistes au pouvoir nous donnent cette impression. Chaque semaine qui passe offre le spectacle écœurant d’une déliquescence d’autant plus spectaculaire qu’elle révèle un double vice de forme: il y a tricherie autant sur l’intime-en-politique que sur l’idée-en-politique, de sorte que la nature même de l’engagement paraît, sinon suspecte, du moins problématique. Ainsi pouvons-nous sérieusement nous interroger sur les raisons qui, un jour, en ont poussé certains à devenir «socialistes», à le revendiquer, à prendre une carte estampillée PS, puis, c’est souvent là l’essentiel, à vouloir coûte que coûte représenter le peuple, à devenir élu sous cette étiquette «de gauche» et un jour pourquoi pas ministre. Être socialiste ne serait donc qu’une affaire d’aiguillage? Quel bon quai faut-il prendre? Tiens, pourquoi pas le PS? Comme le dit souvent Régis Debray «Jadis on voulait faire quelque chose, aujourd’hui on veut être quelqu’un.» De quoi expliquer qu’on puisse être premier ministre «socialiste» et préférer Clemenceau à Jaurès…


Autorité. À la question: mais que faisait donc Thomas Thévenoud au gouvernement? Une seule réponse s’impose: carrière. La théorie de l’opportunisme au sein des rangs du PS n’est plus désormais une hypothèse de fin de soirée, parfois avancée par certains socialistes eux-mêmes, éberlués par leur propre hiérarchie. Preuve que l’autorité, même (surtout) dans un parti politique, n’est pas une question de puissance ou de domination, mais d’inscription dans un ordre symbolique, de références, d’appartenance commune et de fidélité. Celui qui détient cette autorité par l’ascendance ou le charisme – mais qui, de nos jours? – le doit d’abord par la durée écoulée et les actes accumulés. Seulement voilà, avec l’atomisation des fonctions et des colifichets honorifiques, qui ne résistent plus au craquèlement des dorures de la Ve, sans parler de la perte des repères emblématiques («la» politique, «la» vertu républicaine, «les» notions d’égalité, etc.), c’est l’assurance que procure le «fric à vie» (exemple Emmanuel Macron) qui devient la seule médaille pour de vrai. Elle octroie à ses titulaires ce sans-gêne en toutes choses qui permet tout et n’importe quoi, à commencer par le pire : le reniement au sacré de sa parole et des combats pour lesquels on a promis de s’engager. S’engager, c’est pourtant se souvenir, ne jamais oublier.

Inversion. L’affaire Thévenoud, au fond, n’est qu’un désastre supplémentaire au milieu du désastre. Nous n’écrirons pas, ici, que le Parti socialiste est définitivement mort, sait-on jamais, après tout. Mais devant autant de reddition face au mur de l’argent (celui qu’on possède ou celui qu’on refuse d’affronter), nous voilà cul par-dessus tête. L’autre jour, au hasard d’une lecture: «L’instrument est devenu la matière, et l’objet est le monde… C’est un cataclysme aussi nouveau, un événement aussi monstrueux que si l’horloge se mettait à être le temps, et le nombre avec son arithmétique se mettait à être le monde compté.» C’est du Charles Péguy. Qui décrirait mieux l’inversion du réel et du virtuel que nous croyons propre à la nouvelle économie financière capitaliste et à ses serviteurs… tous ses serviteurs? Avec certains socialistes, il y a tricherie autant sur l’intime-en-politique que sur l’idée-en-politique.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 12 septembre 2014.]

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