vendredi 18 juillet 2014

Tour : à Sainté, la perpétuation du cycle de la mémoire

Dans les rues de Saint-Etienne, où cyclisme, football et traditions ouvrières se mélangent, le Norvégien Alexander Kristoff (Katusha) a remporté l’étape. Pas de changement au général.

Depuis Saint-Etienne (Loire).
Les suiveurs, ceux qui en connaissent un rayon, le savent. Mais ils s’en émerveillaient hier encore. L’entrée dans Sainté, la ville verte, a toujours quelque chose de singulier. Plus qu’ailleurs sans doute, la mélancolie des lieux de mémoire y constitue les êtres, en tant qu’exception, celle d’une France qui dessine encore, quelquefois, les contours surannés d’un hexagone de salle de classe républicaine. Quand le peuple du Tour croise celui de Saint-Etienne, l’alchimie produite par la rencontre, faite de regards croisés et d’emportements, éclate, s’irise, l’évidence comme une claque, un tambour qui bat – et ce petit rien qui ressemble à l’accablante impuissance des mots pour le dire. Dans la foule massée, on ne parlait que des «héros pédalant», du Chaudron, encore des mineurs, toujours de Manufrance, et il suffisait aux téméraires d’aller visiter le Musée d’Art et d’Industrie (lire ci-contre) pour comprendre que l’histoire du cycle, ici, s’inscrit dans la longue tradition d’un savoir-faire français sacrifié, dont l’héritage tente de subsister coûte que coûte.

Il était un peu plus de 17h30 sur la ligne d’arrivée et, comme annoncé, le phénomène d’allégresse collective se produisit. Les coureurs étaient partis de Bourg-en-Bresse pour rejoindre la préfecture de la Loire (185,5 km), et après une étape disputée maillots grands ouverts, marquée par une échappée hélas disloquée dans le final de deux Europcar (Quemeneur et Gautier), le Norvégien Alexander Kristoff (Katusha) s’est extirpé d’un sprint massif. Aucun changement avant d’attaquer les Alpes, dès aujourd’hui. Mais attention aux organismes. Car hier c’était jour de haute canicule. Quand le paysage change, brûle de lui-même et consume les chairs et leur substance. Quand le ciel luisant, enfin délayé de chaleur, laisse un bleu immense vertical recouvrir l’horizon. Quand les coureurs ne quêtent qu’un peu d’air et d’eau, dans le va-et-vient des ravitaillements en bidons supplémentaires. Quand la fragilité de leurs enveloppes dorées fascine.
 
Que c’était bon d’être vivant à la passion. Alors, à la manière de Paul Fournel et de Jean-Noël Blanc, les deux écrivains-cyclistes stéphanois dont certains livres ne quittent jamais notre valise de Juillet, nous nous demandions sérieusement si le vélo ne parlait pas que d’écriture – et même s’il ne nous a pas appris à écrire. Dans la salle de presse, située à quatre-cent mètres d’un Chaudron bientôt flambant neuf, nous avons dégusté et offert autour de nous un assortiment de chocolats de chez Weiss, perles noirs parmi les perles. La bouche offerte, nous écoutions religieusement la conférence de presse du vainqueur du jour. «Gagner ici, c’est prodigieux», bredouillait-il. Entre lui et nous, entre lui et eux, la fusion, quoique passagère, ressemblait à un moment de bonheur partagé, entre victoire et satisfaction d’être là et nulle part ailleurs. Le chronicoeur pouvait se laisser aller. Que voulez-vous. Il aime tellement le Tour, l’histoire de la mine, la Manu et les matches à Geoffroy-Guichard à s’en faire exploser les yeux: il aurait dû être stéphanois. 
 
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 18 juillet 2014.]

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