Au cœur de l’été, l’affaire aurait pu passer presque inaperçue. Il s’agit pourtant de ce qu’il faut bien appeler «les dérives de l’université». Des dizaines de milliers d’élèves sont concernés et consternés. L’Unef a en effet révélé hier des chiffres et des statistiques qui donnent carrément froid dans le dos malgré la chaleur environnante. Selon le syndicat étudiant, pas moins de vingt-sept universités en France pratiquent «une sélection illégale des étudiants après le bac» et vingt-quatre d’entre elles «persistent à imposer des frais d’inscription illégaux». Le verbe est à la hauteur de l’indignation. Il y a de quoi.
En France, le principe même de «sélection» est totalement illégal – nous pourrions même écrire antirépublicain. «La loi stipule que la sélection d’un bachelier pour l’accès aux premiers cycles universitaires est prohibée», s’indigne d’ailleurs l’Unef, pour qui cette pratique résulte du «manque de moyens» des établissements. Qu’on le sache: seize universités prévoient d’être en déficit à la fin de l’année. Résultat? Les président(e)s, fort(e)s de leur autonomie, réduisent drastiquement le nombre d’étudiants, ce qui a pour conséquence directe – et hélas, logique – de pousser les élèves dans les bras du privé, dont les « parts de marché » (horreur) ne cessent de progresser… Écrire que les universités françaises traversent donc une crise profonde relève bien sûr de l’euphémisme. La situation, rapportée aux anciens sermons du « principe de réalité » des années sarkozystes, est désormais si grave et si préoccupante que tous les acteurs, des étudiants aux jeunes enseignants chercheurs, en passant par de nombreux mandarins, ne cessent de tirer le signal d’alarme en réclamant des «mesures d’urgence». Et que fait le gouvernement depuis plus d’un an? Rien ou pas grand-chose en vérité…
Chacun le sait, les universités, qui accueillent une bonne partie des élèves de l’enseignement supérieur, ne parviennent à en diplômer qu’un pourcentage assez restreint, alors que la qualité des diplômes ne cesse d’être décriée sur l’autel du sacro-saint «marché de l’emploi». Souvenons-nous. L’autonomie pleine et entière des universités, selon cette doxa, devait tout régler. Qu’en est-il aujourd’hui? Improvisation, incompétence, dogmatisme, malfaçons et insuffisance financière sont les maîtres mots de cette autonomie! Les déboires budgétaires s’accumulent, tandis que les sous-dotations, voire les sous-équipements aggravent les conditions d’enseignement. Et pendant ce temps-là, nos prosélytes de l’élitisme se félicitent de la réussite des grandes écoles et de l’enseignement supérieur court – réservés pour la plupart à une classe sociale unique, sélectionnée comme il se doit et pas trop regardante sur le carnet de chèques…
Ces dérives préoccupantes ne relèvent évidemment pas que de la crise de l’institution universitaire plongée dans la société globalisée. Elle témoigne, à l’évidence, d’une volonté sournoise de mise en concurrence des individus, des établissements et même des régions, avec pour objectif une distinction des contenus des formations et des savoirs, selon les territoires et les publics visés. Notre université, si essentielle pour la formation des futurs citoyens hautement qualifiés, était jadis une institution enviée dans le monde. Elle est aujourd’hui tellement malade que la République elle-même en souffre. Retrouver l’esprit et les moyens d’un vrai service public d’éducation est une urgence absolue. Demandez à nos jeunes qui viennent de passer le bac ce qu’ils en pensent?
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 23 juillet 2013.]
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