Le Tour? Un monde en réduction qui crée des personnages à sa démesure. A tout cycliste de juillet s’agrège donc un patrimoine historique. Car si le Tour ne nous racontait que des histoires de sports et de sportifs, sa légende mythologique n'aurait pas atteint des sommets que Roland Barthes comparait à une «énergétique des esprits», nous ramenant ainsi aux hommes et à la France dans leur exception, à l'ordre épique, à la géographie homérique. Un mythe total, donc ambigu: un mythe d'expression et un mythe de projection, réaliste et utopique en même temps…
Que ça plaise ou non, il ne peut y avoir commémoration des légendes du Tour sans conférer à l'événement sportif, intronisé «lieu de mémoire», la place qui lui revient dans l'élaboration et la consolidation d'une nouvelle vision de la République née, comme lui, au lendemain de l'affaire Dreyfus, sans parler des conquêtes sociales du XXe siècle, dont les congés payés furent décisifs pour son édification de juillet. Il faut comprendre dans quelle mesure «l'écosystème républicain», le Tour et les attentes de la majorité des Français se sont longtemps trouvés en corrélation, avec ses propres relais et même des idées forces qui se répètent en écho aux précédents historiques: le patriotisme ; l’internationalisme ; le volontarisme, puissant au lendemain de la Libération, quand le Conseil national de la Résistance jeta les bases d’un corpus social prolongeant le Front Populaire.
Jadis, la démesure des Forçats de la route se donnait à voir dans le spectacle d’un travail de souffrance, rétablissant l’homme dans la dignité de sa condition. Désormais, c’est la France des bords de route qui a pris le relais. Le Peuple du Tour, dans sa folie, offre à l’épreuve le cachet d'un 14 Juillet étiré sur trois semaines et préserve ainsi les traces d’onirisme de notre Tour d’enfance. Plus qu’un patrimoine, une République à lui tout seul.
[ARTICLE publié dans le hors-série de l'Humanité consacré au Tour de France, juin 2013.]
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