jeudi 11 juillet 2013

Tour : Mont-Saint-Michel, au nom du Chris

Le Britannique Chris Froome (Sky) a frappé un grand coup hier. Il termine deuxième du contre-la-montre, derrière le champion du monde de la spécialité, l’Allemand Tony Martin (Omega), mais repousse Valverde et Contador à plus de 3 minutes au général…

Chris Froome.
Depuis le Mont-Saint-Michel (Manche).
«C’est devenu Disneyland, ici!» Le chronicoeur, qui se trouve stratégiquement placé au Mont depuis mardi soir, peu avant que le barnum de la Grande Boucle ne colonise le sanctuaire, a pu le constater. Même les Normands, qui s’évaluent à la dérobée de mille façons composites avec cet air si familier de ne vouloir brusquer personne, n’y comprennent plus rien. Surtout les salariés des restaurants, des hôtels et des commerces, ces centaines «petites mains» que les touristes croisent à peine du regard et qui subissent les évolutions de leur Mont-Saint-Michel. Entre les nouveaux aménagements de leur sanctuaire dressé comme un miracle au-dessus de la baie sablonneuse – la Merveille de l’Occident – et la privatisation d’espaces publics par Veolia, pour une histoire de navettes qui ferait tourner bourrique le meilleur des Calvados, les Montois ne savent plus quoi penser mais ont retrouvé le goût de la lutte. Hier en pleine arrivée du Tour, c’était pour eux, également, une course contre-la-montre.

Malgré l’afflux du public et la saison touristique qui bat son plein, l’abbaye était fermée, pour cause de grève (lire ci-après). Messieurs les coureurs n’auront aperçu l’Archange et ses teintes mordorées que de loin, dans l’ultime ligne droite, adjugée au pied de l’îlot rocheux granitique unique au monde.
Le Tour ne serait pas le Tour s’il ne s’inscrivait pas au carrefour de l’homme et de la machine, du sol et du climat, mais aussi au carrefour de l’individu et de la société. Le temps d’une pause toute relative, les Normands ont donc honoré de leur présence le passage des rouleurs, lancés à toute force sur les 33 kilomètres d’un exercice en solitaire, entre Avranches et le Mont, après un détour par Ducey avant de bifurquer plein Ouest vers Courtils. Un beau terrain de chasse pour les spécialistes.

Ainsi, en début d’après-midi, bien avant que les favoris au podium n’enfourchent leurs bécanes profilées, il n’y avait rien d’étonnant de retrouver en tête de gondole l’Allemand Tony Martin (Omega), auteur d’un temps référence intouchable, en 36’29’’, à plus de 54 km/h de moyenne. Le champion du monde de la discipline avait retrouvé son moteur. Quant à ses plaies, liées à sa chute lors de la première étape, en Corse, dont il a partagé la vue en diffusant des photos spectaculaires sur twitter, elles semblaient ne plus le faire souffrir. Lui qui n’est pas du genre à cultiver le registre blessure secrète et autres pousse-à-l’apitoiement, il avait la voix un peu blanche en déclarant simplement « être content » de sa performance, montrant là les stigmates des grands crus cyclistes qu’il nous sert dès qu’il s’affronte au chronomètre. Et pour cause. L’Allemand a été le seul à avoir battu régulièrement Chris Froome cette saison, depuis Tirreno-Adriatico jusqu’au Dauphiné. Série en cours.

Et le maillot jaune? Sachant que Martin était quasi «imbattable», la principale question le concernant était de savoir combien de temps pourrait-il reprendre à ses principaux rivaux au général, Valverde, Kreuziger, Contador, Quintana ou Evans, qui, pour quelques-uns d’entre eux, avaient sombré lors du dernier Dauphiné, sur une distance identique, en accumulant des paquets de minutes? Nous le savons, le Britannique grimpe: il a développé 446 watts, samedi, dans la montée d’Ax 3 Domaines, ce qui le classe parmi les «mutants» qui atomisent tout. Mais il roule également: il fut uniquement battu par Wiggins l’an dernier sur le chrono du Tour et glana la médaille de bronze aux JO. Preuve réitérée, hier: le leader des Sky, dominé comme prévu par l’Allemand, a repris plus de deux minutes à tous ses prétendants à la victoire finale, les renvoyant tous à plus de trois minutes au général – déjà un monde. Froome n’a pourtant effectué ses premiers tests en soufflerie que cet hiver. Il aurait alors «trouvé quelques petits détails à améliorer». On se demande ce qui arrivera le jour où il mettra la main sur de «grands détails»…

Sur le podium d’arrivée, il fallait le voir, le porteur du maillot jaune, lever les yeux au ciel en contenant inutilement du regard ce reliquat de Babel perché à près de cent mètres au-dessus de lui. Oui, le Mont-Saint-Michel, comme un doigt fier pointé vers les cieux, était le plus bel endroit que pouvait s’offrir le Tour pour sa centième édition. Nous prenions alors à témoin l’Archange lui-même de ce que cette étape fut la plus émouvante de beauté et d’émotion symbolique. En pensant aux Montois, le chronicoeur regarda à son tour le Mont jaillir de la mer, colossal, comme le tranchant d’une pierre polie par les siècles – et le travail des hommes.

(1) Le Tour n’était arrivé qu'une seule fois au Mont-Saint-Michel, en 1990. 
 
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 11 juillet 2013.]

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