jeudi 28 février 2013

Hessel: un homme vertical, l'âme trempée par les épreuves

Article invité: par Charles Silvestre.

Stéphane Hessel était venu au stand des Amis de l'Huma, en 2008. Récit.

«Qu’est-ce qui vous fait encore courir, à quatre-vingt-dix ans passés, à travers le monde?» La question est posée à Stéphane Hessel, le 12 septembre 2008, à la Fête de l’Humanité. L’ambassadeur, titre qui lui a été décerné par l’histoire plus que par les autorités administratives, est attablé sous le chapiteau des Amis de l’Huma, aux côtés d’Edmonde Charles-Roux, amie de longue date, et de Georges Séguy, résistant à quinze ans, déporté, qui est l’invité de la soirée pour les quarante ans de Mai 68. Stéphane Hessel s’est redressé de toute sa hauteur. À quatre-vingt-dix ans, il déplie son mètre quatre-vingt-dix, affiche une dignité tranquille, pour ne pas dire une sorte de majesté républicaine, et répond par la métaphore de la bicyclette: «Mais, si je m’arrête, je tombe.» Le livre Indignez-vous!, qui a connu un succès retentissant, deux ans plus tard, a la même tenue dans ses premières lignes: «93 ans. C’est un peu la toute dernière étape. La fin n’est pas bien loin. Quelle chance de pouvoir en profiter pour rappeler ce qui a servi de socle à mon engagement politique : les années de Résistance et le programme élaboré il y a soixante-dix ans par le CNR.»

Il a tenu à venir «en toute simplicité», accompagné par son épouse, dans ce lieu de la Fête. Stéphane Hessel n’était pas un bavard. Ce 12 septembre au soir, il parle sans se presser, détache les mots, comme s’il les pesait depuis le temps où chaque mot mettait en jeu la vie, la sienne et celle des autres, à mi-chemin entre le discours à l’ONU et la conversation amicale, dans un exercice pédagogique travaillé par sa mémoire. Du camp, il a retenu cette façon incroyable de résister à la déshumanisation: 100 poèmes appris par cœur et récités à la demande! Tant qu’à être en bonne compagnie, et à se rendre utile, Stéphane Hessel accepte une nouvelle invitation. Le 1er décembre 2008, il est accueilli par les Amis de l’Humanité et les Amis de la Vie, l’hebdomadaire chrétien, qui font cause commune pour marquer le soixantième anniversaire de la fameuse Déclaration des droits de l’homme. C’est à Paris, au centre Sèvres, domaine de l’évêché, et ce croisement de ceux qui croient au ciel avec ceux qui sont censés ne pas y croire ravit celui qui a lu, très jeune, Aragon.

Encore debout à la tribune, comme si cette station, verticale, indiquait une attitude de l’âme. Trempée par les épreuves. Au journaliste qui l’interroge sur «l’empreinte» française sur cette déclaration de 1948, au nom de 1789, du fait de René Cassin, son architecte principal, il répond: «Ne soyons pas franco-centrés, pour une fois soyons internationalistes!» Un brin de malice, celle qui ne l’a jamais quitté, n’a jamais nui aux grandes ambitions humaines.

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 28 février 2013.]

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