Quand un diplomate à la longue expérience politique s'interroge sur le "moment socialiste". Et se souvient du jeune Normal Ier...
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Normal Ier a été jeune. |
Diplomate. Quelque chose de singulier dans le timbre de sa voix. Comme un éraillement, une sourde inquiétude, que masque mal l’assurance verbale qui pointe malgré tout derrière la lassitude. Même depuis son appartement parisien, à deux pas de la Bastille, le vieux diplomate, compagnon de route assez distant de Normal Ier, éprouve l’envie de parcourir le monde à la lueur des phrases, s’inventant quelque quête propre à raviver sa flamme de nouveau-monde, irrésistiblement attiré par la conscience agrandie du cercle des yeux morts et de cette rage des oubliés qui fait éclore la foudre. De temps à autre, le Quai d’Orsay le missionne encore ici et là, profitant de ses connaissances sud-européennes et nord-africaines, de ses compétences historiques et de son carnet d’adresses toujours impressionnant. «Quand je pense que j’ai eu Normal Ier en stage à Alger, à la fin des années soixante-dix, alors qu’il était encore à l’ENA, je me dis qu’il a fait du chemin, confesse-t-il. Quand j’ai vu son discours au Mali, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ce jeune avec ses grosses lunettes qui, à l’époque, attablé à une terrasse d’un café d’Alger, me demandait s’il devait “devenir giscardien” ou s’il devait ”rester socialiste”. Je pense qu’il testait déjà ma loyauté. Contrairement à Ségolène, il n’a jamais aimé Mitterrand. Mais il avait toutefois un point commun avec lui: leur “socialisme” n’est qu’un socialisme d’emprunt, par défaut.»
De la méchanceté?
«Qui aime bien châtie bien.» De la défiance?
«Rien qu’un regard d’historien.» De la déception?
«Juste quelques regrets.» Lesquels?
«Il y a cent ans, les conservateurs vomissaient la République, et les socialistes, le capitalisme. La droite, depuis lors, a épousé Marianne en secondes noces, et les socialistes, le FMI.»
Et encore?
«Les stratégies financières et logistiques ont pris le pas sur les stratégies politiques étayées sur l’idéal républicain.» Et puis?
«La pédagogie du renoncement est comme l’annonce du pire, elle remplace la promesse d’un mieux.» Et enfin?
«La démocratie ne désigne plus la capacité à mener des luttes pour quelque chose, entre des valeurs et des idées, mais à mener haineusement des luttes en personnes, pour rien.»
Vue. Trop impérieux, ce besoin de parler. Mais pourquoi en ces termes? Et où veut-il en venir, lui qui, tel le guetteur averti, à plus de quatre-vingts ans, n’a pourtant rien du laudator temporis acti, du c’était-mieux-avant? Notre diplomate préfère répondre par une question en forme de pied de nez énigmatique:
«Comment ne pas ressentir la disparition de la vue d’ensemble ou du point de fuite?» Pour notre homme, l’époque (lisez «les élites») maltraiterait l’intérêt général, le démagnétiserait en quelque sorte, au profit de recettes catégorielles et/ou de réformes ponctuelles qui ne s’articuleraient plus avec une vue panoramique du monde tel qu’il est et encore moins avec le futur-proche tel qu’il devient – sans parler du destin des hommes eux-mêmes, dont les perspectives d’espérances collectives se sont (temporairement) évanouies sous le pointillisme des fiches d’experts toutes détrempées dans les mêmes bains idéologiques. Alors il le clame:
«La République n’est pas un accusé de réception de la globalisation financière. Avec les libéraux de tout poil, c’est comme si le sens de l’Histoire était suspendu, soumis aux chiffres et au diktat des marchés. Franchement : ça ne peut plus durer.»
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Et à Bamako... |
Usines. À la lumière des propos tenus par notre affable interlocuteur et eu égard à une certaine idée de la grandeur républicaine qui, en commun, nous tiraille l’esprit, on pardonnera au bloc-noteur ce trait d’amertume que certains considéreront comme «facile». Mais que voulez-vous. En écoutant le «discours à Bamako» de Normal Ier, et quand bien même tentait-il de reproduire la geste gaullienne (les références
sont inépuisables) voire mitterrandienne (le discours de La Baule en 1990 par exemple), nous aurions préféré qu’il vive
«le plus grand jour» de sa vie politique à Amiens ou à Aulnay en annonçant le sauvetage des usines de Goodyear et de Peugeot. Croyez-nous, il n’y a rien de vulgaire ni de populiste à affirmer que l’épopée nationale n’est pas qu’un théâtre extérieur. Sauf à tourner le dos aux priorités pour lesquelles une force populaire s’est constituée dans les urnes un certain 6 mai 2012. Sauf à ne pas voir que la France se trouve
«au bord de l’implosion ou de l’explosion sociale», comme le suggère étonnamment Manuel Valls, qui, jusque-là, nous avait assez peu habitués à ce genre de diagnostics courageux. Sauf à laisser croire – surtout – que la puissance publique ne peut plus rien ou presque, hormis d’éphémères régulations par-delà les marges… Comme le dit notre diplomate:
«À quoi sert de gouverner si la ligne d’horizon est déjà une ligne de flottaison?» Pas mieux.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 8 février 2013.]
Ca, c'est du journalisme !
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