La date peut paraître anodine. Mais celle-ci charrie autant de souvenirs inébranlables que d’amertumes difficiles à dépasser. Voilà sept ans et quatre jours très exactement que Zyed Benna, dix-sept ans, et Bouna Traoré, quinze ans, périssaient électrocutés dans un transformateur EDF, à Clichy-sous-Bois. Le 27 octobre 2005. Prélude à un mouvement inédit de révoltes urbaines, qui prit toutes les formes: spontané, revendicatif, partagé, parfois violent et/ou enflammé. Qu’on se rende compte, ce n’est qu’aujourd’hui, sept ans après, déjà, que la Cour de cassation doit se prononcer sur le pourvoi formé par les familles des victimes. Elles espèrent toujours la tenue d’un procès en correctionnelle pour les deux policiers suspectés d’avoir pourchassé Zyed et Bouna…
À l’époque, une partie des Français découvrait, il était temps, la réalité de la fracture sociale de certaines banlieues et, avec elle, la radicalisation des difficultés socio-économiques. A-t-on tiré les leçons des révoltes de 2005? Mais quelles leçons, quand la paupérisation galope et que 70% des familles vivent sous le seuil de pauvreté, quand le taux de chômage y dépasse les 40%-50%, quand un gamin sur deux vit l’échec scolaire, quand les solidarités sociales sont à bout de souffle? Stigmatisation, discriminations économiques, sociales et culturelles: ici, ce que la République a de meilleur semble avoir reflué, vaincu par on ne sait quelle logique inégalitaire...
Dire que rien, absolument rien n’a changé à Clichy-sous-Bois, par exemple, procéderait de la malhonnêteté, d’autant que ce serait nier le fait assez fondamental que la question de l’avenir des quartiers populaires s’invite désormais dans tous les esprits. Tout citoyen de raison est en effet fondé à affirmer qu’il n’y aura pas d’horizon républicain digne de ce nom sans la fin, rapide, de toutes les ségrégations sociales dont sont victimes ces banlieues et contre lesquelles s’était dressée l’ultra-majorité des jeunes lors des révoltes de 2005. Alors que la société française est travaillée par la montée des valeurs inégalitaires et qu’on ne lui promet que le déclassement intergénérationnel, la grande leçon donnée par cette jeunesse fut précisément son aspiration assez radicale à l’égalité républicaine.
N’oublions pas l’un des enseignements du 6mai: 58% des employés et 68% des ouvriers ont voté pour le candidat Hollande. La gauche est redevenue majoritaire au sein des «couches populaires». Salaires, emploi, pouvoir d’achat, santé, éducation, services publics, refus de l’austérité généralisée, obtention de nouveaux droits, etc., voilà à grands traits ce sur quoi se sont déterminés ces électeurs ayant choisi le camp du progrès contre l’ordo-libéralisme. Le danger mortifère? Que ces citoyens soient une nouvelle fois déçus. Les Français, à commencer par ceux des quartiers populaires où se concentrent toutes les injustices sociales, ne voient pour l’heure dans les politiques gouvernementales actuelles que les «impératifs de gestion». Précaution pour ne pas dire «renoncements»...
Confrontés à l’exercice du pouvoir, les socialistes semblent ne plus trop savoir comment s’y prendre pour changer la vie de ceux qui souffrent. Mais le veulent-ils vraiment? Et se donnent-ils les moyens d’affronter les forces de l’argent et l’oligarchie dominante pour y parvenir, face à une société qui, soi-disant, camperait à droite toute? Au fond ce n’est pas une surprise, la bataille idéologique ne s’est pas arrêtée au soir du 6 mai. Mieux: partant du principe que la gauche est majoritaire au Parlement pour cinq ans, n’ayons pas peur d’affirmer que cette bataille des idées, surtout à gauche, est même plus importante que jamais.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 31 octobre 2012.]
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