Quartier. «La douleur de la banlieue… déborde, éclabousse et perturbe… La promiscuité, l’échec scolaire, le chômage sécrètent cet ennui qui égare et expulse ceux qui en souffrent vers la marge.» Relisant l’autre jour ces quelques mots de Tahar Ben Jelloun, nous avancions, à tâtons, au milieu de souvenirs épars jusqu’aux heures avancées de la nuit en écoutant, çà et là, le quartier hurler à en vivre. Des gémissements de voiture au loin. En bas, la rumeur trop pleine d’une infatigable jeunesse. Et puis dessus, dessous, le bruit lassant et répétitif de vies désœuvrées qui ne cessent de déraper faute de routes tracées. Vous voulez du vécu, de la matière à réalité? En voici, terrible et troublante, re-belle, repoussante et aimante. «Comment agir encore pour que cela change?» dit un voisin sans y croire. «La cité n’est pas un territoire étranger, c’est la France», affirme Abd Al Malik, le poète rappeur, cri du cœur contre cris de haine. Cet inhabitable, cet irrespirable sont autant de recours pour le combat qu’ils épuisent l’idée même de lassitude. Le mystère est là, indéchiffrable. Nulle absence ne touche davantage le bloc-noteur que son quartier populaire éloigné, sa solidarité, sa solidité obtuse, son bouillonnement malgré sa misère, qui adoucissent toute envie d’autres lieux, d’autres immensités humaines.
Pauvreté. Pendant que certains s’affichent dans la Ville lumière, qui scintille aux abords de l’autre côté du périph, d’autres subissent des conditions d’existence que la pudeur nous empêche de décrire. Les sociologues appellent cela «la radicalisation des difficultés socio-économiques» des territoires en question. Banlieue: concentré des tensions françaises?
Là où 70% des familles vivent en dessous du seuil de pauvreté. Là où le taux de chômage atteint 40%. Là où la République semble avoir renoncé. Là où les trafics en tous genres ne sont plus seulement des pratiques parallèles mais des modes de subsistance. «N’importe quelle population installée dans de telles conditions produirait de la délinquance», nous déclarait récemment un sociologue, exaspéré par l’ampleur des discours dominants. Et il ajoutait: «Banlieue = délinquance = étrangers expliquent les idiots. Ils oublient juste que ces territoires, c’est la République, et que ces habitants sont pour l’essentiel des Français!»
Vérité. Une étude de l’Insee arrive à propos. Menée en Île-de-France et dévoilée cette semaine, elle dresse pour la première fois le «portrait» des «enfants d’immigrés», ou, plus exactement, le «ressenti» des héritiers de l’immigration. Et alors? Neuf sur dix se sentent «français»! Cette vérité, nous la connaissions bien. Mais cette fois, elle brise les idées reçues – et de manière scientifique! C’est le côté lumineux. Car côté sombre, ces enfants d’immigrés, qui ont l’impression amère qu’on ne les voit pas comme ils sont, c’est-à-dire des Français, réussissent moins bien que leurs voisins aux patronymes plus acceptables sur les CV. Ainsi, ils ne sont plus que 67% à estimer qu’on les regarde comme des Français. La couleur de la peau comme handicap : sans blague ? Ces enfants de la deuxième et la troisième génération déclarent en effet qu’ils doivent toujours «faire face à des barrières dressées en raison de leurs origines», plus d’un quart (27%) d’entre eux se disent victimes de discriminations, soit autant que les immigrés eux-mêmes, mais, tenez-vous bien, ils ne sont que 14% à estimer qu’ils ont été «moins bien traités à l’école», notamment en matière d’orientation. L’éducation nationale semble avoir résisté.
Égalité. Le savez-vous? 97% des enfants d’immigrés sont de nationalité française. Conclusion? Rien ne sépare les héritiers de l’immigration du reste de la société. Depuis les révoltes de 2005, beaucoup de fantasmes ont parcouru le microcosme germanopratin des idées, notamment un: celui de «penser» séparément les banlieues (donc consciemment ou inconsciemment «les immigrés») des milieux populaires français, alors qu’ils appartiennent au même monde en termes sociaux et économiques. Répétons-le encore et encore. La grande leçon de la révolte de la jeunesse des quartiers populaires en 2005 fut son refus de la marginalisation par l’affirmation de l’aspiration à l’égalité. Alors que la société française est travaillée par la montée des valeurs inégalitaires, qui touche l’ensemble du monde développé et particulièrement nos quartiers populaires, la révolte des héritiers de l’immigration – hier comme demain – ne peut se concevoir sans qu’ils aient intériorisé quelques-unes des valeurs fondamentales de la République. À commencer par le couple liberté-égalité… Une question en passant: la douleur des banlieues a-t-elle été aussi violente qu’en ce moment?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 12 octobre 2012.]
merci pour ces infos. En complément de cet article, il est intéressant de connaitre le profil de ces descendants d'immigrés, qui sont-ils? en voici un portrait détaillé:
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