mardi 23 octobre 2012

Armstrong : enfin, la roue tourne

Célébré par Bush et Sarkozy, l'ex-septuple vainqueur du Tour désormais déchu de tous ses titres, fut le symbole du catéchisme marchand.

«Armstrong n’a aucune place dans le cyclisme. Il mérite d’être oublié.» En entendant ces mots, hier, dans la bouche du président de l’Union cycliste internationale, Pat McQuaid, il nous fallut un long moment d’introspection pour mesurer à sa juste valeur le poids des années endurées comme l’ampleur du cataclysme annoncé. Comprendre ne va jamais sans tremblements, surtout quand il s’agit du plus grand scandale du sport moderne. Depuis la lecture du rapport de l’agence antidopage américaine (Usada) et ce qu’elle appelle «une conspiration du dopage le plus sophistiqué jamais révélé dans l’histoire», il ne pouvait en être autrement. Exit l’ex-idole de juillet. Enfin!

Acteur cynique d’une époque née de la métamorphose des corps par le sang et la génétique, Lance Armstrong avait mis en place «un système mafieux» pour «assurer le secret» sur une organisation gigantesque, au service d’une icône incomparable et inégalée. Souvenons-nous.
Armstrong n’était qu’un revenant de la maladie et cette particularité, rare dans un sport aussi impitoyable avec les organismes, lui offrait du crédit et de la compassion. Le caractère de l’homme importait plus que ses capacités. «Chaque jour qui passe est un jour gagné sur la vie», disait-il aux cancéreux. Et aux spécialistes du vélo, il confessait: «Ma course contre le temps m’a fait comprendre qu’on ne peut pas gagner le Tour tant qu’on n’est pas un homme.» Nous étions sommés de le croire. Et pour cause. Aux lisières du mystère de la fabrication des performances, déjà elles-mêmes aux extrémités de ce qui est moralement acceptable d’entreprendre, Armstrong n’avait rien d’autre à perdre «que la vie». Sujet délicat s’il en est. Car suspecter un individu sauvé d’un cancer si grave que beaucoup l’avaient condamné avant l’heure relevait alors de l’impossible. Il avait vaincu la maladie. Que ne pouvait-il vaincre? Sauf à oublier qu’entre-temps un mutant de la biochimie avait pris la place d’un «simple» sportif, qu’il avait laissé sous lui un corps sans vie, duquel il se vengeait. Le roman était en place. Un roman noir.
Lance Armstrong et George Bush.
Avec la «globalisation Armstrong», un décalage a fini par se creuser entre les coureurs, mutés en figurines de jeux vidéo, et le public, fidèle à l’heure de célébrer sur le bord de la route la mémoire de sa propre histoire. Le Tour de France s’est défait de son caractère onirique pour se convertir en machine à spectacle où l’on peut lire l’essence générale du sport: un modèle réduit de l’ultralibéralisme. Célébré par Bush et Sarkozy, par CNN et les télévangélistes, par Nike et Drucker, Armstrong fut le symbole du catéchisme marchand. Non seulement il a triché avec un mépris sans bornes, mais il a versé le mythe du maillot jaune dans celui de l’american way of life revisité pour les besoins de l’époque, la gloire, le fric, le consumérisme, le pouvoir. L’exigence de crédibilité du modèle Armstrong n’était qu’une condition subjective de la confiance commerciale qui reposait sur ses épaules.

Comment ne pas croire que quelque chose nous a trahis, dont le dopage sous toutes ses formes ne serait qu’un des avatars? En danger de mort, le cyclisme vit la crise la plus sérieuse de son histoire. Mais il ne s’en sortira pas sans un moratoire global sur toutes ses activités, sans des états généraux débouchant sur une vélorution et, surtout, sans éliminer tous ceux qui, de près ou de loin, à l’UCI, dans les équipes et ailleurs, ont collaboré aux années de plomb. Deux écueils nous guettent : croire que l’on peut tout changer et croire que l’on ne peut rien faire. Le cyclisme reste une belle métaphore. À condition de ne pas sombrer dans la désespérance.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 23 octobre 2012.]

7 commentaires:

  1. Le cas Armstrong n'est pas grand chose : c'est tout l'univers impérialiste (USA, OTAN, EUROPE, FRANCE, et même l'Humanité) qui se dope et vit sous perfusion permanente.
    Ses magouilles actuelles au Moyen-Orient, autour de la Syrie, ne sont que le prurit permanent par lequel il se manifeste, tantôt ici, tantôt ailleurs.

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  2. Trop d'argent, trop de dopage trop de médiatisation : le sport a perdu beaucoup d’intérêt. Il n'est qu'un secteur économique comme les autres sans aucun supplément d'âme. Armstrong déchu et va t-on enfin connaitre toute la vérité dans d'autres disciplines ? Le cyclisme est gangrené mais croyez vous que le foot ou le tennis soient des modèles de vertu ?
    http://blog.seniorenforme.com/

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  3. les commentateurs télé en avaient tous plein la bouche du "train bleu".
    Aucun ne sait jamais interrogé sur la façon dont ils "moulinaient" dans les cols y compris des rouleurs poids lourds.
    Il n'était pourtant pas besoin d'être médecin du sport pour se rendre compte de "l'anomalie".
    Les coureurs français qui s'exprimaient la dessus ont été détruits y compris par la clique médiatique. Les journalistes des chaînes publiques se gardaient bien de s'interroger sur les raison de l'écart de résultat entre les français et quelques équipes ! Course à l'audimat oblige !malgrés ma passion pour le sport et le vélo en particuliers je garde un goût amère de toutes ces années de triche généralisée de certaines équipes et des chroniqueurs sportifs. Encore cette année des phénomènes curieux ont été constatés notamment des sprinteurs capables de monter des 10 kms de cols à des trains d'enfer !
    il faut arrêter de faire avaler n'importe quoi au public et jeter enfinun regard critique sur ce petit monde des tricheurs !

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  4. Amstrong n'est pas le premier à tricher avec le dopage ... mais lui il a atteint le degré absolu de la mauvaise foi.
    Quelques champions ont reconnu à l'image d'Anquetil qu'ils s'étaient dopés ... mais le dopage de l'époque n'avait rien à voir avec le dopage scientifique pour ne parler que du cyclisme mis au point dans les 80 et 90 par les "docteurs" italiens en particulier.
    Souvenez-vous les coureurs des groupes italiens qui dominaient le cyclisme sur certaines classiques.
    Les coureurs se levaient la nuit pour faire des pompes pour éviter "tout problème"
    L'affaire Festina ... mais avec Amstrong, il a inventé le dopage "multinationale".
    Ce n'était plus le dopage de "papa" ou celui des années 90 mais un dopage ... avec un seul but le fric.
    Si le dopage a gangréné un grande partie du peloton ... j'ai de la peine pour ceux qui ont résisté à la tentation.
    Leur palmarès se limite à quelques succès de temps en temps ...
    Amstrong et sa mafia ont triché ... avec la complicité de l'UCI ... et aussi des grands médias qui s'enthousiasmaient devant les performances du plus grand dopé de l'histoire du sport.
    Espérons que l'année prochaine pour sa 100ème édition le Tour de France ... l'Alpe d'Huez ne se monte pas à une vitesse vertigineuse !

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  5. Malheureusement ce "sportif" reflète bien ce qu'est la mentalité américaine, -Peu importent les moyens pourvu que l'on est la suprématie". Heureusement il y en a qui veulent que le cyclisme reste un sport, alors je dis bravo et aux entraineurs des clubs d'introduire la morale, l'honnêteté et la solidarité dans un sport d'equipe.
    Je dis à ceux obnubilés par le modèle américain, copiez MAIS les bons exemples... est ce qu'il y en a..?, le vivre ensemble n'est pas que finances et profits, mettez l'humain d'abord!!!

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  6. Comme dit J-E Ducoin le "cyclisme est une belle métaphore". Celle d'un monde qui se désagrège, qui se délite, qui se désintègre, qui se fracture, qui s'atomise, qui explose de par la mise en œuvre de la logique (la loi) du système de production devenu capitaliste de la vie dans toutes ses dimensions.
    Il n'y a aucun échappatoire. Le rêve d'un sport-spectacle-opium-du peuple PROPRE est une utopie. Un non sens. Une anachronie. Un archaïsme.

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  7. Adieu L.A.l'imposteur : sa grande salle de shoot ambulante est fermée. Ca nous rassure un peu de ménage chez le maître du monde de la triche et du fric-roi. Fini aussi le modèle de la lutte contre le cancer (inhumanité monstrueuse vis-à-vis des malades qui luttent et en meurent!) : L.A. était un cancer sportif et moral...le mal ne peut pas gagner à tous les coups...PAT

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