Cadel Evans, victime de trois crevaisons... |
«On ne trompe pas des yeux avertis.» Nous prêterons cette maxime vélocipédique à quelque littérateur des Illustres, sachant que, dans un peloton, celle-ci n’a pour règle morale que l’expérience et le nombre des années à observer les fessiers des cyclistes en action. A Foix, hier, il suffisait de voir l’Espagnol Luis-Leon Sanchez pour comprendre la matrice secrète dans l’art de pédaler aux frontières de soi-même. Lui, arrive du socle des âmes fortes de l’autre côté des Pyrénées, pas loin, et pourtant, pour sa quatrième victoire d’étapes, à 28 ans, il ne montre ni morgue ni vanité, mais un orgueil en densité rehaussé par l’exploit. Au terme d’une étape de 191 kilomètres disputée entre Limoux et Foix, via le Port de Lers (1re cat.) et le Mur de Péguère (1re cat.), le coureur de Rabobank joua les rescapés solitaires d’une longue échappée de onze courageux (parmi lesquels Sagan, Kruijswijk, Casar, Gilbert, Gautier, Minard, etc.). Le peloton maillot jaune, quant à lui, coupa la ligne avec plus de 18 minutes de retard.
Ascenseur émotionnel. Fini le désoeuvrement stylistique des étapes dites «de plaines» vouées à la monotonie des métronomes laborieux. Quittant les basses-terres, le chronicoeur aime ces envoûtements d’altitude, car l’entrée dans les Pyrénées pourchasse toujours la désorientation latente, même par un froid automnal: moins de 10°.
Kilomètre 143. Le voilà donc, dressé sous les roues, le mystérieux et sinueux Mur de Péguère (1375 m) qui impressionnait tant les maniaques de grands plateaux. Sur le road-book du Tour, la montée est officiellement longue de 9,3 kilomètres à 7,9% de moyenne. Chiffres trompeurs, si peu conformes à la réalité topographique. Si la première partie de l'ascension, depuis Massat, s'effectue via les pentes du col de Port, très peu sélectives (5-6%), l'escalade vertigineuse de Péguère, lorsque la route emprunte le col des Cagnous, dure près de quatre kilomètres. La signification même d’un « mur » prend enfin tout son sens: 12% de moyenne, avec des séquences à 18%!
L’effort y fut donc relativement bref. Avouons qu’il aurait dû être d’une violence brutale, d’autant plus extrême que la pente, unique révélateur de souffrance, serpente à l’abri des bois et du vent. Seulement voilà, l’escamotage devenant une règle communément partagée de ce Tour 2012, notre déception fut à la hauteur de la majesté des lieux. Bien qu’il fût, ici, possible de provoquer une sélection importante en menant grand train, dans une forme de chacun pour soi qui aurait pu ressembler à l'Angliru, le monstrueux col des Asturies, les coureurs en décidèrent autrement. Les Wiggins, Froome, Nibali, Evans, Van Den Broeck, Rolland et autres soutiers se contentèrent du minimum, alors que chacun connaît les difficultés du maillot jaune à franchir les énormes pourcentages… Certains diront que le sommet était niché à 38 kilomètres de l’arrivée, alors, pouvaient-ils mieux? Et peuvent-ils plus? Et qu’attendent-ils?
L’affront fait au Mur ne pouvait rester impuni. Un instant, nous crûmes qu’une justice immanente dirigée par Péguère venait de s’abattre, au hasard, sur Cadel Evans, victime de trois crevaisons dans la zone du franchissement du col. Perdu, l’Australien, cherchant en vain sa voiture ou un équipier, pour le secourir d’une roue arrière. Arrêts à répétition. Coup de colère. Et poursuite infernale pour rentrer par l’arrière. Renseignements pris, il fallut nous rendre à l’évidence, les dieux n’y étaient pour rien. Une main d’homme était passée par là, puisque les directeurs sportifs comptèrent les crevaisons par dizaines. Des punaises et des clous de tapissier avaient été jetés sur l’asphalte souillé…
Le groupe maillot jaune dans le Mur de Péguère. |
Heureusement l’Ariège sait accueillir. «Ici, écrivez-le!, on ne nourrit pas les boeufs aux hormones.» Hier, au bord de la rivière éponyme, des produits locaux furent proposés par les producteurs de la Ferme du Quié (1). Admirables saucissons, attendrissantes rillettes, merveilleuse viande de bœuf grillée sous les frondaisons d’arbres centenaires bercés par l’écho glissant des eaux vives. A Foix, les suiveurs alanguis avaient au moins une raison de jubiler. On ne trompe pas des yeux avertis.
(1) Renseignements : http://www.giteduquie.com/
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 16 juillet 2012.]
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