samedi 7 juillet 2012

Tour : pour ou contre les oreillettes? Voici ce qu'en pense Cyrille Guimard

Après la terrifiante chute dans l'étape vers Metz, vendredi 6 juillet, plusieurs coureurs, dont Thomas Voeckler, ont fortement critiqué l'utilisation des oreillettes. Voici l'opinion de Cyrille Guimard sur la question.
« Les grandes courses à étapes, nous ne pouvions pas les gagner si notre groupe n’avait pas une autonomie et une conscience de ce qu’il fallait faire individuellement et collectivement.
C’est ce que je reproche le plus aux oreillettes, vous savez, ces dispositifs ''radio'' qui maintiennent un fil à la patte aux coureurs pour mieux les laisser dans leur condition d’exécutants, pour ne pas dire d’esclaves… On me parle de stratégie, de stratégie, mais à quoi sert la stratégie dorénavant, quand les coureurs ressemblent à des robots de jeu vidéo, téléguidés à distance par des mecs qui sont bien heureux de ne pas voir leur petite science contestée par éventuellement plus intelligents qu’eux...

Aujourd’hui, les directeurs sportifs n’ont plus besoin d’expliquer la course – quand ils la comprennent – ils disent juste à leurs coureurs de rouler, ou de ne pas rouler, et le tour est joué. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’avec ces conneries on ne forme plus que des exécutants soumis, mais ce n’est plus très loin. On ne cherche pas à faire réfléchir les coureurs, c’est un crime à l’esprit du cyclisme, à la spontanéité des hommes. Plus pervers encore, les oreillettes sont carrément devenues un formidable alibi pour les coureurs : si ça se passe mal, qui est responsable pour ne pas dire ''coupable''? La généralisation des oreillettes fut une vaste entreprise de déresponsabilisation. La stratégie du GPS et du mouchard appliquée à la science de la course a déshumanisé le cyclisme. Pourtant la course, ce sont les coureurs qui la font, pas les directeurs sportifs…

Le désenchantement autour de la Grande Boucle est un exemple significatif et il n’a pas fallu attendre les affaires de dopage à la suite de ''l’affaire'' Festina pour y assister. Un décalage mortel a fini par se creuser entre les coureurs, mutés en figurines de jeux-vidéos, et le public fidèle à l’heure de célébrer sur le bord de la route la mémoire de sa propre histoire. Le Tour s’est peu à peu défait de son caractère onirique et poétique. La plus grande part d’humanité y a régressé. Dès lors, au lieu d’être la capricieuse fable de nos contes d’antan – le cyclisme d’incarnation à la Vietto, à la Coppi, à la Anquetil –, le Tour n’est plus que l’unique reflet de ce qu’il y a de pire dans notre époque. Le préfabriqué et la marchandisation. Fini l’émancipation, place au formatage ! Pour sa notoriété, un coureur préfère désormais un raid de 180 kilomètres dans une étape du Tour que de finir deuxième de Liège-Bastogne-Liège, ou même premier de la Flèche-Wallonne. C’est ce que j’appelle les ''échappées publicitaires'', les ''échappées marketing''. C’est un constat d’impuissance.

Et puis, à propos des oreillettes, il est quand même malhonnête de dire qu’elles ont été inventées pour la sécurité des coureurs. De quoi est mort le Kazakh Andrei Kivilev, sur les routes de Paris-Nice, en 2003? Du fait qu’il n’avait pas de casque? Ou plutôt parce que ses oreillettes fonctionnaient mal? C’était un choc facial, comme dans la plupart des chutes graves, comme pour l’Italien Fabio Casartelli, sur le Tour, en 1995. Je ne suis pas en train d’affirmer que je suis contre le casque, même si je suis partagé. Avec le casque, la perte de conscience est systématique, alors que, avant, ça se terminait par des points de suture. Mais je suis un éducateur. Alors je dis aux gamins: ''Tu prends le casque.''

Par contre, il a été dit partout que Kivilev était mort à cause du non-port de son casque, mais jamais parce qu’il avait eu des problèmes de réception avec son oreillette. Il utilisait ses mains à autre chose qu’à tenir son guidon, et hop, plus de réflexe possible, ce fut la chute fatale… Nous savons désormais que les oreillettes sont dangereuses pour la régularité et la sécurité des courses. Je m’explique. Dans des moments névralgiques, tous les directeurs sportifs donnent la même commande au même moment. Résultat, tous les coureurs veulent remonter dans le même mouvement. Et dans ce grand moment de tension et de frottements, la moitié du peloton se trouve connecté, en pleine écoute, pour entendre ces commandements. L’inattention grandit mécaniquement.»

Extraits de «Dans les secrets du Tour de France», de Cyrille Guimard, éditions Grasset.

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