Thomas Voeckler. |
La passion sans l’amour, n’est-ce pas, déjà, la mort de la passion? Allez, qu’il est bon d’être vivant à l’engagement, de le voir renaître, changeant mais identique, observé par un regard qui permet toujours de nous reconnaître comme tel. Thomas Voeckler (Europcar) est un catalyseur idéal pour nous remettre en ordre, alors que tout devrait nous disperser. Avec sa façon virtuose d’effleurer le chaos, les paumes en suspens, le visage tiraillé de perdre haleine et son genou tant meulé qu’il disparaît à la douleur d’une tendinite oubliée, il rehausse le récit, le malaxe, le distord. Et nous, nous voulons croire à la belle histoire dans sa répétition – une forme d’acceptation sans résignation.
Rescapé d’une longue échappée partie tôt dans l’étape reine du Tour, entre Pau et Bagnères-de-Luchon (197 km), par une chaleur accablante, le Français n’a pas fait de détail pour larguer son ultime compagnon, Brice Feuillu (Saur-Saujasun), malgré Aubisque (HC), Tourmalet (HC), Aspin (1re cat.) et Peyresourde (1re cat.). La montagne, revancharde aux hommes d’orgueil, aime honorer les tempéraments furibards, les en-furie permanents, les casse-cous des serments suicidaires. Notre «Titi» national cueillit donc les fruits de la passion. Une deuxième victoire d’étape, avec, dans la corbeille, un beau maillot à pois.
A l’arrière, sous l’impulsion des équipiers de Nibali (Liquigas), le semblant de bataille ne débuta que dans le col d’Aspin, en même temps que le calvaire du tenant du titre, Cadel Evans, sur le corps duquel semblait traverser une onde néfaste, de quoi sombrer dans des mondes inférieurs. Quant à l’équipe Sky, elle riait sous son empire, portant son grand échalas d’Anglais, Bradley Wiggins, vers les sommets. L’Italien Vicenzo Nibali, comme annoncé, attaqua dans l’ultime ascension, le col de Peyresourde. Pas de panique. Christopher Froome, insolent, ramena Wiggins dans la roue du petit fuyard. Les trois hommes, partis seuls, scellèrent le podium du Tour. Battus, les Evans, Van den Broeck, Rolland ou Pinot, relayés et broyés par l’usinage de notre temps. Le maillot jaune, à l’aisance légère, s’appelle Wiggins et il vient définitivement de créer un style sous l’égide de la domination passive. Les ascensionnistes, solitaires dans leur vertige, n’existent plus ou presque sous le brouillon sans emphase du cyclisme moderne des tout-puissants.
Fränk Schleck. |
Habituons-nous, les cyclistes entrent à Pau en héros, en repartent avec des dossards noirs. Après Vinokourov et Rasmussen en 2007, Contador en 2010, la ville-étape est devenue maillot jaune dans la traque du suspect. Le contraste s’avérait ainsi saisissant avec Bagnères-de-Luchon, qui, au petit soir de chaleur partagée, rayonnait de bonheur en fêtant son Voeckler. Devant sa majesté les Pyrénées, racée en poésie, le chronicoeur voulait démêler ses sentiments, pour se rappeler à cette part de Légende encore captive. Manière de nous adresser à nous-mêmes, «lorsque nous sommes séparés dans le désir d’être conjoints» (Alain Badiou), comme le sont souvent les cyclistes et le public, l’universelle réponse au mystère de l’engagement: «Nous ne sommes rien, soyons tout.» Ou au moins quelque chose. Oui, la passion sans l’amour serait la mort de la passion.
(1) Il s’agit du Xipamide, produit plutôt ancien, destiné à réduire les oedèmes, ainsi que l’hypertension artérielle. Son usage connu pour les sportifs : perte de poids, assèchement générateur de performance, mais, surtout, il s’agit d’un masquant efficace pour cacher la présence d’autres produits…
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 19 juillet 2012.]
Enorme article, impressionnant. Bravo.
RépondreSupprimerCette fois-ci, j'ai beau relire plusieurs fois, je n'y vois pas clair, même en cherchant entre les lignes. La première phrase, répétée à la fin, m'échappe. Sans l'amour de qui ? Sans l'amour de quoi ?
RépondreSupprimerIl semble y avoir comme une ombre sur ce récit de l'épopée voecklerienne. Ne pouvons-nous pas nous abandonner à notre plaisir ?
Pardon pour l'anonymat du commentaire de 18:04.
RépondreSupprimerSalut Olivier,
RépondreSupprimerPour répondre à la question: sans doute l'amour du vélo, l'amour du Tour, l'amour de la Légende - malgré tout... Réponse insuffisante, peut-être.
Quant à Voeckler, tout tient dans cette phrase, mûrement réfléchie: "Et nous, nous voulons croire à la belle histoire dans sa répétition – une forme d’acceptation sans résignation."
Voilà. Que dire de plus?
Mon amitié.
JED