Foot. Pierre-Louis Basse a mille fois raison: nous aimons tous le football comme nous aimons notre enfance, «avec insouciance et regret, car nous passons une partie non négligeable de notre vie à regretter cette enfance». Tôt ou tard, le monde des adultes squatte notre présent et avant même de nous en rendre compte, nous avons quitté les bords de rive où s’échangeaient nos rêves de ballon rond et de numéros de dossard du Tour de France. Les brumes du présentisme, avec son performatif, remplacent alors l’éclat des ciels clairs des gamins. «Je n’ai jamais cessé de croire – au nom de cette passion pour l’enfance – que le football n’était rien d’autre que le merveilleux prolongement d’une époque», écrit Pierre-Louis Basse, plus mélancolique que jamais à refuser l’idéalisation du passé et plus encore sa nostalgie. Dans son dernier livre, Gagner à en mourir (Robert Laffont), le journaliste et écrivain sort de son silence forcé de la plus belle des manières. Mettant sa plume au service du sport, de l’histoire et de la politique.
Voix. Petit rappel aux oublieux: Pierre-Louis Basse n’est plus journaliste à Europe 1 depuis l’été 2011. Et croyez-nous, son émission, où se côtoyaient des philosophes, des musiciens, des ouvriers et parfois même des bloc-noteurs (eh oui), ne manque pas qu’aux auditeurs! Écarté, viré: chacun choisira la bonne expression.
Toujours est-il que l’animateur vedette des fins de journées, après vingt-cinq ans de loyaux services, a été poussé à l’extérieur des locaux de la rue François-1er pour la deuxième fois de sa carrière (en 2005, Elkabbach lui avait redonné un micro après une saison de disette). Mais là, son retour semble compromis. Lui n’en démord pas: «En 2011, c’était une éviction politique dictée par l’Élysée.» Pierre-Louis refusa de se transformer «en caniche de l’audiovisuel» inféodé au prince. Depuis, l’homme s’est éloigné de Paris en posant ses valises à l’île aux Moines, dans le Morbihan. Une grande voix en exil médiatique, loin «des faux-culs, des trouillards, des zélateurs»? «Avant la présidentielle de 2012, dit-il, il n’y avait plus de place pour la contre-culture, pour la liberté, pour la dignité.»
Pierre-Louis basse. |
Honneur. Dans Gagner à en mourir, Pierre-Louis nous raconte donc ce qu’il appelle «la beauté d’un match invisible», un «match de la mort» qui opposa, le 9 août 1942 à Kiev, une sélection de l’Allemagne nazie à une équipe ukrainienne, le FC Start, comptant parmi eux bon nombre de juifs. Les faits sont méconnus. D’un côté: onze Allemands de la Défense contre les avions. De l’autre: des joueurs sous-alimentés, autant portés par l’amour du foot que par cette guerre qui n’en finissait pas. Comprenons bien le contexte de cette rencontre héroïque et tragique à la fois. Quelques mois auparavant, les nazis s’étaient distingués par le massacre de Babi Yar, plus de 33 000 juifs de Kiev décimés à l’arme blanche… Mais «les bourreaux avaient besoin de distraction» et, ce 9 août 1942, les hommes de la Luftwaffe, menés par Hermann Graf, le «tueur du ciel», ne pouvaient pas perdre contre des «untermenschen» (sous-hommes). Les autorités ukrainiennes avaient d’ailleurs sommé leurs joueurs de «laisser filer» le score. En vain. Sur la pelouse du Zénith, les Trusevich, Kouzmenko, Komarov, Klimenko, Goncharenko, Putistine, etc. n’hésitèrent pas. Réduits à dix dès la première mi-temps, menacés par les armes dans leur propre vestiaire par des officiers nazis, les hommes du FC Start décidèrent de ne pas céder. Plutôt que d’affronter le déshonneur d’une partie truquée, ils osèrent jouer. Et gagner, 5-3, au péril de leur vie. Le pays fut euphorique. Mais les héros payèrent leur insolence face à l’oppresseur: tous les joueurs du FC Start furent arrêtés, torturés et déportés dans des camps. Beaucoup d’entre eux périrent… Comme nous, Pierre-Louis Basse aime ces joueurs. Au nom du foot – et de tellement plus.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 15 juin 2012.]
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