mercredi 20 juin 2012

Rio+20 : oui, la maison brûle...

Un développement humainement durable: est-ce compatible avec la virulence du modèle financier?
«Notre maison brûle et nous regardons ailleurs.» Personne n’a oublié l’intuition oratoire de Jacques Chirac, le 2 septembre 2002 à Johannesburg, en ouverture du IVe Sommet de la terre. Cette prise de parole conscientisée à l’extrême, avec sa part de dramatisation, n’avait d’autre but que de rappeler aux dirigeants du monde leur devoir sacré: lutter contre l’indifférence des Terriens face aux menaces environnementales, face aux destructions de la nature et de ses ressources, qui mettent en danger l’espèce humaine tout entière. Ce jour-là, le président de l’époque s’exprimait dix ans après le premier sommet de Rio. En 1992, la Terre s’était assise à la table des négociations onusiennes. Les préoccupations écologiques et de développement durable s’écrivaient à l’encre noire dans tous les agendas internationaux…

Où en est-on aujourd’hui? Ne le cachons pas, la réunion de l’ONU en présence d’une centaine de chefs d’État et de gouvernement, qui se tient de nouveau à Rio, comme un symbolique retour aux sources, s’ouvre sur un constat d’alarme. Le bilan de l’action des États n’a rien de rassurant. Et le contexte mondial laisse apparaître des contradictions majeures : consommation d’énergies en plein boom, pics d’émissions de gaz à effet de serre, hausse des déchets et des pollutions chimiques, exploitation de l’écosystème jusqu’à la négation de la biodiversité, pillage des biens communs de l’humanité, marchandisation du concept d’«économie verte» au profit des grands trusts privés, nouvelle explosion de l’énergie fossile… tout cela frappé du sceau de la poursuite effrénée du système productiviste néocapitaliste !
Croyez-nous, ce ne sont pas que des mots. Oui, la maison brûle et notre planète nourricière est en danger. Il suffit de voir la sourde inquiétude de certains participants au sommet de Rio pour se rendre compte que le texte a minima qui y sera adopté entérinera 
de nouvelles entorses aux belles déclarations de principe. Vaste monde, qu’allons-nous faire de toi?
En ces temps de crise économique, sociale, alimentaire et écologique sans précédent depuis que notre univers dit «moderne» a glissé de l’espérance de croissance continue à la légitimation des inégalités par ceux qui détiennent les pouvoirs financiers, l’enjeu de civilisation dépasse de loin les bonnes intentions. N’en déplaisent aux libéraux plus ou moins «verdis» par opportunisme mais tous favorables aux traités internationaux de libéralisation et de dumping économique, les réponses sont à trouver du côté 
de la crise du capitalisme et nulle part ailleurs. Notre mémoire matricielle ne ment pas. En 1987, le fameux rapport Brundtland déclarait solennellement : «À mesure qu’un système s’approche de ses limites écologiques, les inégalités ne font que s’accroître.» Derrière les dérèglements environnementaux, l’accès aux besoins élémentaires auxquels aspirent tous les pays émergents reste une priorité universelle! Ne l’oublions jamais.

Évoquer une planète solidaire et humainement durable, où l’on produit et où l’on consomme autrement, est-ce crédible dans les cadres actuels de la concurrence acharnée, des dérèglements orchestrés par l’OMC ou le FMI dans tous les secteurs d’activité humaine? Est-ce même envisageable quand une ultraminorité de privilégiés regarde une ultramajorité de pauvres manquer de presque tout, y compris d’air pur? Bref, le développement humainement durable est-il compatible avec la virulence du modèle financier, lui-même facteur d’anti-écologisme?

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 20 juin 2012.]

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