Michelet. Avez-vous lu Michelet? Nous entendons d’ici les réacs s’étrangler: il est en effet loin le temps où l’Histoire de France de notre Jules chapitrait notre scolarité, tandis que les exemplaires de ses livres encombraient méchamment les coffres de nos antiques bureaux de classe maculés d’encre noire. L’avantage d’avoir subi une éducation à l’ancienne, façon Lagarde et Michard et grammaire grecque, résidait dans le fait qu’il nous était alors impossible de passer à côté de l’essentiel. Comme Molière ou Racine, Michelet en faisait partie. Nos petites histoires pouvaient bien provoquer des marées, la grande Histoire, elle, ne refluait jamais… À la faveur d’une actualité peu triomphante, nous nous sommes donc tout naturellement souvenus que ce fut bien ce bougre de Michelet, et personne d’autre, qui, en 1841, ressortit Jeanne du néant de la mémoire…
Symbole. Nous parlons là de Jeanne d’Arc, bien évidemment. Et de la lecture d’un des chapitres du fameux historien, mû là encore en véritable inventeur de personnages héroïques aux figures multiples. Sachons-le. Avant de devenir la figure éminente du «roman national» français, récupérée par l’extrême droite et la réaction monarchiste, celle qui fut livrée aux flammes anglaises par l’évêque «français» Cauchon, il y a tout juste six cents ans, n’en fut pas moins célébrée par des républicains et même des révolutionnaires en lutte contre le fascisme et l’impérialisme! La libératrice d’Orléans plutôt que la sainte. La résistante à l’envahisseur plutôt que le bras-armé d’un roi sans intérêt… Brossée par Michelet, Jeanne devint l’un des symboles (eh oui !) de la balbutiante idée de patrie, en un temps où les besoins de consolider le dessein de la jeune République s’avérèrent primordiaux face aux forces monarco-religieuses. Jeanne était alors la figure incarnée du peuple en danger, la fiancée de France, la fille de tous, bref la grande martyre d’une monarchie ingrate coalisée avec l’Église qu’il faudra, tôt ou tard, séparer de l’État…
Mais Michelet ne fut pas seul. Jules Quicherat, Joseph Fabre, Lucien Herr et le grand Jean Jaurès noirciront eux aussi des pages enflammées sur la suppliciée de Rouen. Plus incroyable, en 1884, un projet de loi du groupe radical – qui n’aboutira jamais – fut même déposé au Parlement pour instaurer une fête annuelle en l’honneur de Jeanne. Le but? Instituer un complément au 14 Juillet. Qui s’en souvient aujourd’hui?
Camelots. De Monseigneur Dupanloup, évêque d’Orléans au milieu du XIXe siècle, aux ultranationalistes Camelots du Roi, organisation monarchiste antisémite au début du XXe siècle (qui n’hésiteront pas à scander «Vive Jeanne d’Arc ! À bas les juifs!» pendant l’affaire Dreyfus), les forces réactionnaires tentèrent de s’accaparer les cendres de la brûlée pour en faire la bonne chrétienne habitée par Dieu. Jeanne-bannière d’une sainte Église qui sentit le vent tourner en faveur de la République, avant que le Vatican, jamais avare de coups politiques dès qu’une République s’installe dans la durée, ne vienne s’en mêler en érigeant un piédestal divin et éternel à Jeanne: béatifiée puis canonisée en 1920, en présence, tenez-vous bien, d’un représentant du gouvernement français, signe, paraît-il, d’une France réconciliée avec l’Église au lendemain de la loi de 1905… Durant la Seconde Guerre mondiale, Pétain iconisera tellement «la Pucelle» que, après la Libération, son culte sera abandonné. Il rappelait trop la collaboration… C’est sur ce socle pétainiste et cette filiation affirmée aux Camelots du Roi que viendra s’installer la rhétorique de la famille Le Pen et de l’extrême droite contemporaine. Ou comment une jeune femme affreusement torturée par des fanatiques religieux se transforme en victime de l’obscurantisme politique fascisant…
(L'entrée de Jeanne dans Orléans.) |
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 13 janvier 2012.]
(A plus tard...)
Il parait que ce n'est pas elle qui est passée au bûcher !
RépondreSupprimerMagnifique remise au point.
RépondreSupprimerOn comprend mieux à quel point la droite bonapartiste et ultranationaliste a toute récupéré, même les icones de la nation et de la patrie.
RépondreSupprimerAlors il faut dire "vive Jeanne" ???
RépondreSupprimerPourquoi pas après tout.
Mes compliments pour ce texte.
RépondreSupprimerRAYMOND
notre président (avec un p minuscule comme petit) nous a déjà fait le coup avec Guy Moquet. Boulimique de la reprise de tout et n'importe quoi à des fins purement électoralistes il torture l'Histoire comme il torture le destin du peuple français. Sans nier l'importance du passé quand une élue de base comme moi interroge ses compatriotes de la France du-dessous (nous en sommes-là!) ils disent refuser leur présent (le quotidien est leur première préoccupation tant il est difficile...) et s'inquiéter de leur futur. Avant la grande Histoire, ils me racontent leurs histoires de chômage, de non ou mal-logement, de précarité énergétique (on en meure aujourd'hui...), de prix qui flambent pour tout et partout, de leur IMPOSSIBILITE de se soigner, de payer les études de leurs mômes, de vivre avec 400 euros par mois, de pouvoir se vêtir correctement, de faire leur plein d'essence pour aller bosser, de passer leur permis, d'acheter une voiture et même un 2 roues, de se nourrir correctement...etc...(je vous épargne tant la liste est longue!...) c'est leur "bûcher des supplices" au quotidien..découlant du bûcher des vanités politiques de nos gouvernants. Alors, disons-le, Jeanne, pucelle ou pas, est loin de leur esprit...PAT
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