Larmes. Se souviendra-t-on des sanglots d’Elsa Fornero, ministre italienne des Affaires sociales? Au côté du nouveau président du Conseil, Mario Monti, cette dame d’apparence austère aux cheveux droits tirés sur les oreilles, par ailleurs vice-présidente de la banque Intesa Sanpaolo (sic), présentait dans le détail le nouveau plan de rigueur. Un à-venir social terrible pour ses compatriotes, dont elle semblait prendre la mesure à chaque énumération, comme une sorte de révélation progressive mise en abyme, comme si, derrière la froideur des chiffres et la pâleur des mots, des êtres prenaient soudain forme humaine dans le désarroi d’une matérialisation enfin palpable. Alors, sans prévenir, la voix de cette femme s’érailla, dérailla… La tentation fut grande de croire à un stratagème, à une comédie, à une tragedia dell’arte faussement surjouée à destination d’une vox populi y perdant son latin. Dans cette désarmante scène de la vie politique, une ministre a gémi – et les marchés ont souri. Triste à pleurer. Les apparences sont-elles trompeuses?
Fin. Connaissez-vous le très sérieux et influent Conseil européen des relations étrangères, élu «meilleur nouveau think tank dans le monde sur les cinq dernières années»? Basé à Londres et disposant d’antennes en Europe, cette structure a pour but de favoriser une perspective paneuropéenne dans les débats économiques et politiques. Cette semaine, la représentante d’un de ses bureaux les plus influents, celui de Berlin, a décidé de sortir de l’ombre en nous adressant une missive sur le thème : «Français, à vous de jouer!» Ulrike Guérot, auteur d’une thèse sur le Parti socialiste français, diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris avant de partir enseigner dans le privé aux États-Unis, prône ouvertement une harmonisation fiscale et politique des deux côtés du Rhin. Mais cette dame n’a ni le temps ni le goût de la nuance. «Que ce soit clair, déclare-t-elle. Oui, ce sera la fin des 35 heures, la fin de la retraite à soixante ans, la fin de “travailler moins pour vivre mieux”. Et ce n’est pas la faute des Allemands, mais parce que nous sommes en train d’intégrer quelque deux milliards de personnes dans le marché global du travail.» Et elle ajoute: «L’Europe le vaut.» Moralité, écoutons toujours attentivement les technocrates, ils expriment très consciemment la pensée stratégique inconsciente de ceux qui nous gouvernent.
Allemagne. Ces mêmes technocrates n’hésitent pas à affirmer que la crédibilité de l’euro ne peut se jouer que sur le terrain de l’apolitique. Est-ce l’ambition de l’Allemagne? Doit-on y voir une politique bismarckienne? Ou plutôt le retour d’un des courants les mieux établis du libéralisme, l’ordolibéralisme, né dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres et théorisé sous le nom «d’économie sociale de marché»? Et est-ce si incongru d’établir un parallèle entre la posture idéologique d’Angela Merkel et celle suivie au moment de la grande dépression par Heinrich Brüning, chancelier (trop méconnu) de 1930 à 1932? Le trouble historique a de quoi imposer la réflexion. Car Brüning, contournant le Parlement de l’époque, imposa par décret d’urgence une politique absolument radicale d’austérité qui lui valut le surnom de «chancelier de la faim»: baisse des salaires, réduction des indemnités, coupes drastiques dans les dépenses publiques, politique monétaire restrictive par peur de l’inflation, démantèlement de l’État social, affaiblissement de la République de Weimar, etc. Inutile ici d’en réécrire les conséquences… Et aujourd’hui, au nom de doctrines libérales quasi fanatiques, il faudrait masquer toutes similitudes avec les années trente?
Fous. Pendant ce temps-là? Croyez-le ou non, mais l’agence de notation Standard& Poor’s a annoncé qu’elle plaçait sous «surveillance négative» la note du Fonds européen de stabilité financière (FESF), lui-même mis en place pour venir en aide aux États… Cherchez l’erreur. Plus incroyable encore. Le fameux Fonds monétaire international (FMI), qui, par dogme économico-libéral, lorgne depuis toujours sur la gestion des États et tond les populations à la première occasion, cherche lui-même de l’argent auprès des institutions bancaires européennes. Vous avez bien lu. L’institution de Washington serait à court de liquidités. Problème, la BCE n’étant pas membre du fonds, son intervention auprès du FMI semble impossible. Alors? Pour lever au moins 100 milliards d’euros le plus rapidement possible, le FMI devra se tourner vers les banques centrales nationales, comme la Banque de France ou la Bundesbank, qui, comme vous le savez, ne peuvent plus prêter à leurs propres États… Et la boucle est bouclée. Conclusion de ce circuit financier schizophrénique ? Ils sont tous devenus fous. Et comme la plupart des fous, ils ne s’en aperçoivent pas…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 9 décembre 2011.]
(A plus tard...)
Bravo pour la nouvelle présentation de ce blog !!!
RépondreSupprimerOui, une présentation plus claire et plus sympathique. Merci.
RépondreSupprimerMontebourg n'avait sans doute pas tort de soulever cette question de l'Allemagne. Serait-ce un tabou de parler de l'Allemagne et de son histoire ?
RépondreSupprimerJustement, voilà un article intelligent et sans tabou. je suis bien d'accord, ils sont tous devenus fous, même la plupart des socialistes!!!
RépondreSupprimerLA FINANCIARISATION DU MONDE OU L'ELOGE DE LA FOLIE ORDINAIRE! merci pour cette très belle chronique, je pense que la pleureuse italienne est folle aussi....silence on tourne...l'argent fait son cinéma...pndant que les peuples en crèvent...ce qui me rassure c'est que nous sommes pas tous fous!!!PAT
RépondreSupprimerMerci vivement pour cette nouvelle présentation, moi qui suis un habitué de vos articles sur ce blog. On y surfe plus rapidement je trouve. Et le design est bien plus moderne.
RépondreSupprimerPIERRE
Ils sont tous devenus fous? Mais bien sûr! OK, on saisit le sens de cette conclusion au terme de l'article.
RépondreSupprimerMais qui peut imaginer un seul instant que les puissants de ce monde qui oeuvrent activement dans l'ombre pour reféodaliser les États nations ont perdu la raison?
Le discours politico-économico-financier que les médias se plaisent à relayer depuis des années assure de multiples fonctions.
La fonction idéologique, quasi théologique (Marx: l'argent est le nouveau Christ-roi) de ce discours est d'écarter tous les autres. Et ça marche. Plus personne dans ce pays ne doute que la société ne tient plus qu'à un fil, le fil de la raison économique.
Au point que toutes les autres questions que peuvent se poser les citoyens n'ont plus lieu d'être. Ou bien elles passent au second plan.
Si ce n'est pas la marque d'un régime totalitaire qu'est-ce que c'est?