Ou comment le meurtre de la petite Agnès est utilisé par la clique des aboyeurs du Palais...
Agnès. D’abord? Nous souhaiterions laisser vibrer les silences, les encourager, les chérir comme le bien précieux d’une humanité assumée, pour que la gravité due à l’accablement ne se transforme en show médiacratique, pour éviter les écarts et les fausses pistes, pour que, surtout, l’intelligence philosophique des hommes empêche l’apparition répétitive des tribunaux émotionnels. Ensuite? Devant la détresse de la famille de la petite Agnès et l’émotion de tous face à ce meurtre, nous imaginerions de la sérénité, une forme de calme que la douleur impose, pour que l’incompréhension face à des gestes abominables n’accélère pas une irrationalité d’autant plus irruptive qu’elle débouche inlassablement sur l’implacable rhétorique des poujadistes de service et autres escouades de politiciens hyèneux prêts à déverser leurs «éléments de langage» devant les dépouilles de victimes pas même inhumées. Terrifiant signe des temps. Une fois de plus, le deuil et l’horreur du deuil servent à de viles récupérations. Quand des récidives suivent d’autres récidives: Nicoléon ne changera jamais. Un fait divers tragique? Sa clique d’aboyeurs réquisitionne micros et plateaux télés pour nous expliquer que les cas particuliers, pour ne pas dire rarissimes (0 à 1 par an), doivent influencer les règles générales. Tout le reste s’en trouve balayé… Quand les faits divers font la loi et les multiplient sans parfois attendre leurs applications, que deviennent la légitimité et l’autorité de la loi? La mort d’Agnès n’était pas assez horrible comme cela? Il fallait qu’ils en rajoutent comme de vulgaires lepénistes? Les trois mots de cet épouvantable drame – violée, tuée et brûlée – ne leur suffisaient donc pas? Leur instinct de chasseurs de voix (électorales) était le plus fort… Bien sûr, il est tout à fait normal que la société en son ensemble s’interroge sur la nature de ce crime, sur les réponses à apporter, et cherche à savoir si des erreurs ont été commises. Mais il est anormal et aberrant que le pouvoir politique apporte une réponse en quarante-huit heures! Ce procédé, insupportable, constitue à nos yeux une entorse irrémédiable à l’idée que nous nous faisons d’une république éthique sachant apaiser les passions haineuses et non les attiser à la moindre occasion. Nous réclamons de ceux qui nous gouvernent –comme de ceux qui commentent leurs agissements – un minimum de pudeur au moment où nous nous interrogerons tous et sans relâche pour tenter de comprendre l’insondable: comment un homme peut massacrer un autre être humain.
Minority Report. Les mots du père d’Agnès devraient inciter à la réflexion commune.
«Nous sommes attristés que tout le monde essaie de polémiquer et de récupérer cette affaire sur le plan politique, a-t-il confessé.
Notre fil conducteur sera l’espoir –peut-être illusoire?– que tout cela ne recommence jamais.» Le courage de l’intelligence ; l’intelligence du courage. Mais c’est trop demander aux maurrassiens qui peuplent le Palais, pour lesquels le tout-répressif est plus qu’une tentation, un but. Ces fanatiques de Big Brother voudraient que l’évaluation de la dangerosité devienne une science exacte, que les psychiatres et autres analystes muent en experts de l’avenir, que leur «science» consiste à prévoir et prédire les actes futurs d’un individu. Bienvenue dans
Minority Report, le film de Steven Spielberg (l’un de ses meilleurs), où la police arrête les citoyens avant qu’ils aient commis leurs crimes. Dans ce no-futur, plus de libre arbitre, plus d’actes vécus en liberté, plus d’émancipation, plus d’individus agissant par eux-mêmes avec cette part d’imprévisibilité qui caractérise le génie humain comme sa puissance destructrice… Qui voudrait vivre dans un monde où n’importe qui peut être arrêté non pas pour des actes commis mais pour des actes éventuellement commis un jour? Un monde sans deuxième chance, sans rééducation. Un monde ultrasécuritaire où des logiciels catalogueraient la «dangerosité» des individus, en classes et sous-classes, en fonction des premiers gestes de leur vie. Un monde où tous les délinquants et tous les criminels seraient considérés comme de potentiels délinquants et criminels à vie. Ce monde est-il seulement le fantasme de quelques illuminés fascisants?
Espoir. L’État, seule force qui
«fasse la liberté de ses membres» (Rousseau), devrait plus que jamais revendiquer haut et fort les fondements nés du Conseil national de la Résistance, qui, par son ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs, garantissaient le primat de l’éducation sur la répression. L’idée universelle de civilisation jetée par-delà les générations. Ce que résumait en d’autres temps Jean Jaurès d’une formule magistrale:
«L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir.»
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 25 novembre 2011.]
(A plus tard...)
Un des idéologues du club de l'horloge a dû souffler à l'oreille du ministre-DRH le titre de l'essai de Francis Fukuyama "The end of History". Le ministre en a déduit qu'il pouvait faire d'une pierre deux coups: supprimer son enseignement à l'école et faire ainsi des économies de postes.
RépondreSupprimerOn fera remarquer que dans cette histoire on a entendu de la part des syndicats collaborateurs que quelques protestations de principe.
La "catastrophe pédagogique" que connaît l'Éducastration nationale est avant tout le résultat de 30 à 40 ans de politique libérale de gauche et de droite.
RépondreSupprimerLes "révolutionnaires" de 1968 se sont attaqués aux trois piliers du capitalisme. L'usine, délocalisée en Tunisie et en Chine. La famille décomposée/recomposée. Et enfin l'école privatisée,marchandisée et gérée comme une entreprise.
L'instruction, l'enseignement, la transmission des connaissances y sont devenus, dans ces conditions, impossibles.
Sauf pour les enfants de bonnes familles qui connaissent les ficelles.
Mais qu' ont des lycéens en S besoin de connaître l'histoire, ou de penser par eux-mêmes?
L'HUmanité fearit bien dans les semaines qui viennent d'instruire un dossier sur les projets socialistes pour l'école. On y découvrira que l'école et le lycée qui enseignent encore sur des schémas hérités du passé sont promis non plus à la catastrophe, mais au néant.
Avec Sarkozy, c'est l'ordre sans la morale. Voilà tout.
RépondreSupprimerIl est très juste de dire que le temps du deuil devrait être respecté (utopie)...mais la sale "pathologie" politique en général y compris dans des époques lointaines politise les faits divers afin de servir la fausse cause de la récidive. Et elle empile des lois inapplicables et inadéquates puisque dans ce genre de fait divers sordide nous ne sommes pas dans le domaine de la politique justement mais dans celui du médical et du psychiatrique...car il faut être gravement malade (encore plus terrifiant lorsqu'il s'agit d'un jeune...) pour commettre des actes aussi "inhumains"...mais tout est bon à récupérer dans la poubelle politique actuelle y compris contre l'avis des victimes qui ne souhaitent pas que l'on politise leur peine si intime (Quelle est cette civilisation décadente où le temps du deuil n'est même plus respecté?). A force de politiser et de judiciariser l'être humain, la seule solution dont on parle, les politiques sont incapables de l'analyser, cet être humain!...et de comprendre ce qui a toujours existé et malheureusement risque de toujours exister, vu que la solution n'est absolument pas adaptée...Ce qui relève du médical est aujourd'hui géré en cassant le système de soins par le "gestionnaire financier politique en association avec le judiciaire" et non par "le spécialiste médical responsable d'un établissement adapté à l'humain fragile et donc potentiellement dangereux. De toute façon les politiques échouent inlassablement : la preuve....merci JED pour cette brillante chronique, une fois de plus. PAT
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