lundi 25 juillet 2011

Le Tour 2011 annonce-t-il un à-venir meilleur ?

Avec la victoire de l’Australien Cadel Evans et trois semaines de réhumanisation sportive, les amoureux du Tour peuvent se réjouir. Les tricheurs sont harcelés. Les Français marquent les esprits. Et une certaine magie revient peu à peu…
Depuis les Champs-Elysées (Paris).
Rien n’obsède autant qu’une idée fixe. «Je me sens heureux et serein.» Cadel Evans (BMC) s’exprime si calmement qu’une part de sa substance semble enfouie en lui, comme si l’émotion se refusait aux rafales de l’événement. «J’ai consenti beaucoup d’efforts toute ma vie pour atteindre cet objectif.» La mâchoire au carré assaillie de respirations douces, les yeux clairs perdus en eux-mêmes, il affronte déjà cette amplitude singulière des hommes sortis de la pénombre. «Cela fait 21 ans que j’ai regardé le Tour de France pour la première fois, chez moi, en Australie.» Héros de toute une nation qui fête la mondialisation du vélo, sa modestie légendaire ne le quitte pourtant pas. «Le Tour, c’était un rêve d’adolescent, mais ce fut tout le temps un rêve d’adulte…» A 34 ans, un Australien à la maturité réconfortante donne à voir l’entr’aperçu d’un monde conquis, lui qu’on a tant et tant éreinté pour son attentisme et ses places d’honneur. En écrasant les frères Schleck (Leopard-Trek) dans l’ultime contre-la-montre, samedi à Grenoble, au lendemain d’un exploit de «patron» dans le Galibier qui restera dans l’histoire, Cadel Evans, premier Australien de la généalogie, offre sans effraction son nom au palmarès du Tour. La victoire d’un antiromantique de Juillet, peut-être ; mais la consécration rassurante d’un authentique champion…

A l’heure du bilan, le chronicoeur examine sa conscience et pèse ses mots. Car avec le Tour, le sens ne se sépare pas des expressions pour l’exprimer. Alors, en débouclant nos valises aux effluves d’embrocation, il convient d’être attentif à la manière de décrire la réalité. En dehors du triomphe de l’Australien, que doit-on ainsi retenir de ces trois semaines? D’abord? L’épopée de notre «Titi» Voeckler (Europcar), bien sûr, sa hargne, son abnégation devant la souffrance endurée, sa roublardise cachée, sa fausse naïveté, bref, tout ce que nous aimons dans ce cyclisme français grâce auquel le peuple du Tour a pu s’incarner pleinement et légitimement. Ensuite? L’éclosion de son équipier Pierre Rolland, 24 ans au compteur, vainqueur de l’Alpe d’Huez dans des circonstances jouissives, un talent brut au caractère trempé, qui, un jour ou l’autre, et pourquoi pas l’année prochaine, martèlera la course de son empreinte avec une toute autre ambition, croyez-nous, que le maillot blanc de meilleur jeune (1)…

Au passage, n’oublions pas le panache inopérant du triple-vainqueur Alberto Contador, ombre de lui-même, psychologiquement marqué par la traque des instances du cyclisme: le triple-vainqueur ne fut qu’un spectre pourchassé par les heurts d’une justice immanente, qui, parfois, veille dans l’ombre du Tour... Enfin, n’oublions surtout pas la performance globale des Français : Voeckler 4e, Jean-Christophe Peraud 10e (AG2R-La Mondiale), Pierre Rolland 11e, Jérôme Coppel 14e (Saur-Sojasun), Arnold Jeannesson 15e (FdJ)… En conclusion ? Des ascensions moins rapides, des visages tordus par la douleur, des tricheurs de plus en plus harcelés, des coureurs français présents à la lisière du futur : avons-nous assisté à une sorte de réhumanisation sportive du Tour, symbolisée par un réenchantement du public ? Les sceptiques et les prudents traîneront leur perplexité comme leur sourd agacement. Mais nous pouvons témoigner que tous les acteurs (ou presque) rencontrés sur l’épreuve, coureurs, managers, directeurs sportifs et suiveurs, nous ont exprimé leur «optimisme» face à des «performances plus humaines»… La vélorution tant attendue est-elle en cours ?

Thomas Voeckler et
Jean-René Bernaudeau.
Hier soir, du côté des Champs, en voyant s’agiter le peuple du Tour, le chronicoeur se disait que, décidément, l’écrivain Philippe Bordas avait bien raison en affirmant que le cyclisme n’était «pas un sport» mais «un genre» (2), dont l’œuvre principale était de ménager une place, «sa» place, pour l’éventualité d’un autre sens, de quelque chose d’inouï, d’un autre temps… L’air maladif et tout chiffonné après trois semaines d’ardeur et de défaillances en tout genre, le chronicoeur pensa alors très fort à Jean-René Bernaudeau, à son ouvrage pour le vélo français, à son inlassable intuition, à sa simplicité lorsqu’il feuillette lui aussi le grand-livre des Illustres, à sa générosité humaine – irremplaçable pour honorer le juste reflet de la légende de Juillet. «Le Tour, c’est l’affaire du peuple – comme la toile cirée», a écrit un jour Gérard Mordillat, qui se demandait: «Qu’est-ce que faire un tour complet? C’est faire une Révolution.» (3) Voilà, c’est souvent à la naissance des mots dans toute leur exigence, que le Tour nous hante sitôt achevé, déjà orphelin de lui. Pour son vingt-deuxième voyage en cette pure folie française, le chronicoeur, qui en paie le prix fort, a tenté de porter la trace d’un patrimoine populaire encore identifiable dans l’Histoire. Qu’on se le dise, le tour doit rester une idée fixe.

(1) Aucun tricolore n’avait ramené à Paris le maillot de meilleur jeune depuis Gilles Delion, en 1990, avant la folie des années EPO…
(2) Forcenés (Fayard), 2008.
(3) C’est mon Tour (Eden, livre collectif), 2003.

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 25 juillet 2011.]

(A plus tard...)

4 commentaires:

  1. Merci, un grand merci à JED pour ses articles pendant le Tour : il est l'honneur du journalisme sur les routes du Tour, l'un des derniers - peut-être même le tout dernier à manier autant la langue, la passion et le combat.
    MERCI MERCI MERCI
    Jean-Claude

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  2. Bonjour
    Vous êtes sévère avec A. Contador ''ombre de lui-même''. Oubliez-vous volontairement les faits purement sportifs à savoir qu'il ne s'est pas battu à armes égales avec ses principaux adversaires qui ne se sont pas usé avant (voir les prestations des Schleck sur le peu de courses faites avant le Tour (tour de Suisse pitoyable) de même Evans est arrivé avec une trentaine de jours de courses dans les jambes qui lui ont servi seulement de préparation.
    Rien à voir avec Contador vainqueur d'un grand tour d'Italie hyper-montagneux, sans compter pratiquement toutes les courses à étapes auxquelles il a participé. On peut aussi parler des circonstances de courses, retard sur chute, retard au CLM par équipes, et pour finir un TDF sans équipe...je trouve que c'est beaucoup pour un seul homme, il mérite un peu plus de respect par rapport à son palmarès et à son fairplay.
    De grâce, pouvez-vous dire à A.Gallopin que L. AMSTRONG ne nous manque pas du tout, l'homme qui ''n'a jamais été pourchassé par le spectre des instances du cyclisme'' n'a pas duppé tout le monde.Merci.
    Sportives salutations.
    L. MARTIN

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  3. Merci à JED pour sa passion et son talent littéraire pour nous faire vivre autrement le Tour, tous les ans. Et je dois dire que plus les années passent plus c'est formidable de s'intaller dans les pas du "chronicoeur", unique en son genre !!!
    MERCI, oui, vraiment merci pour ces bonheurs de lectures. Il faut le faire savoir.
    Camille

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  4. Merci pour ce bel article.
    Pour moi, ce tour aura également marqué le retour des attaques aux longs cours ! ça fait du bien de voir les leaders partir dès les premiers cols, comme des furieux!
    Par contre, je suis "d'accuerdo" avec Monsieur Martin ! Vous êtes dur avec Contador ! D'autant plus que malgré ses difficultés, il était loin d'être transparent sur ce Tour.
    DESGRANGE

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