Dany Laferrière prévenait dans nos colonnes: «Arrêtons avec l’expression “malédiction haïtienne” ! Haïti vient juste de rentrer sur la scène internationale de manière lisible et compréhensible. Il ne faut plus que certaines expressions nous collent à la peau.» Un an plus tard, nous partageons toujours le parti pris émouvant de l’écrivain mais aussi la colère et l’exaspération actuelles des Haïtiens. Douze mois après le séisme, le constat est en effet accablant. Sous la tutelle de la Mission de stabilisation de l’ONU en Haïti (la Minustah), organisme inefficace et discrédité, le pays reste sous les gravats et, avec les intempéries et l’effroyable épidémie de choléra, la situation donne le vertige… Environ 1,5 million de personnes vivent toujours dans 1 150 camps recensés. Les conditions sanitaires s’aggravent de jour en jour. Quant à l’aide humanitaire, elle demeure inégale et inéquitable. Avant même le tremblement de terre, n’oublions pas que l’île était déjà l’un des pays les plus pauvres du monde : 80% de la population y vivait avec moins de 1,50 euro par jour, 70% de sans-emploi et 62% d’analphabètes issus d’un système scolaire appartenant à 85% au privé…
Sous le coup de l’émotion, saisie par un sensationnalisme médiatique mondial, la communauté internationale avait promis des milliards d’aides. Et puis ? Pas grand-chose. N’est-il pas temps de tirer le bilan désastreux de cette aide en Haïti ? Après avoir été pillés par le FMI, après avoir subi des années de dictature et de corruption, les Haïtiens, qui n’ont pas supporté le spectacle de marines américains débarquant sur leur sol, savent à quel point leur nation est vulnérable, victime de la mainmise étrangère et d’un État impuissant… La récente mascarade électorale en est la meilleure preuve ! Pourquoi l’ONU, les États-Unis et l’Union européenne ont-ils osé conditionner le déblocage de certaines aides à la tenue d’un scrutin dépourvu de sens et qui s’est soldé par des fraudes et des meurtres ?
Pas seulement par dette mémorielle, les Français ont de tout temps aimé Haïti sans savoir comment canaliser cet amour. Pays d’hommes, d’arts et de littérature, pays de vent et d’âmes nobles aux émancipations tourmentées par l’histoire coloniale et dictatoriale, les Haïtiens ont le droit de reconquérir leur totale souveraineté pour rebâtir non pas à l’identique mais sur les bases d’une nouvelle citoyenneté. Il n’est pas trop tard pour les aider à rechercher des voies originales pour un nouveau développement humain, durable, débarrassé des néocolonialismes et des dominations.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 12 janvier 2011.]
(A plus tard...)
Je voudrais dire BRAVO à JED pour son début d'édito : "Tels ces instincts venus du fond des âges, le bruit et la fureur laissent des traces dans nos inconscients qu’aucun sang séché ne parvient à masquer durablement. Le rapport au temps prend alors tout son sens. En ce début de XXIe siècle, la vitesse en toutes choses symbolise souvent l’insignifiance d’une époque en mal d’horizons : le peuple haïtien, lui, semble frappé par une immobilité qui défie pourtant notre imagination…"
RépondreSupprimerVraiment un beau moment d'écriture. C'est si rare de lire ça dans la presse. Alors il faut savoir apprécier...