mardi 12 octobre 2010

Retraites : et plus si affinités...

«La retraite à 60 ans, c’était votre époque. On ne gouverne pas avec la nostalgie.» Comme l’un des symboles des indignités du sarkozysme, nous n’oublierons pas de sitôt la morgue d’Éric Woerth, vendredi au Sénat, préférant la violence verbale des lâches au courage des arguments. L’instant, solennel pour le pays, réclamait pourtant qu’il élevât son langage. L’ancien premier ministre Pierre Mauroy venait en effet de prendre la parole pour défendre la retraite à 60 ans que son gouvernement avait votée en 1982. Refusant qu’on efface «cette ligne de vie» et «ce droit», le socialiste témoigna à sa manière du combat de toute la gauche pour le progrès. La haute intensité de son émotion méritait une réponse digne de la République. Mais le ministre du Travail, plus fantomatique que jamais, n’a décidément que le costume et l’orgueil de la fonction.

L’isolement façon Ancien Régime comme l’énervement du gouvernement en disent long sur la gravité du moment. Toute la Sarkozie préfère d’ailleurs se réclamer de l’appui du directeur du FMI – on a les soutiens qu’on mérite – que de regarder du côté de l’opinion. Et pour cause. Un nouveau sondage Ifop vient confirmer et amplifier celui que nous avions publié la semaine dernière. Pas moins de 71% des Français soutiennent les mobilisations. Niveau record égalé ! Mais ce n’est pas tout. Ce soutien gagne en fermeté: 42% jugent en effet la mobilisation de demain «tout à fait justifiée» (+9 points en un mois). Les catégories populaires approuvent massivement les manifestants à 87%. Et ce chiffre monte à 90% du côté des sympathisants de gauche… Sans appel.

Dans ce climat de totale incertitude et de frémissements de révolte que beaucoup d’observateurs qu’on ne saurait qualifier de marxistes comparent à l’avant-Mai 68 (à voir), nous savons bien qu’il s’agit de faire en sorte que la colère collective l’emporte sur les peurs individuelles et que ladite colère s’éclaire à nouveau d’un objectif politique crédible sans lequel la souffrance populaire redeviendra muette et souvent autodestructrice. Le grand mouvement de contre-réforme des années 1980-1990 avait amplifié les tendances de retrait «de la» politique et de l’implication dans la cité, au détriment des espérances d’émancipation des séquences antérieures…
À l’image de Marseille, où convergent toutes les luttes dans un mouvement d’ampleur, une nouvelle séquence sociale vient-elle de s’ouvrir en grand ? Sommes-nous entrés dans un affrontement plus global entre les citoyens, par-delà leurs situations et leurs opinions, et un pouvoir complice des puissances de l’argent ?

L’impatience actuelle du peuple, que nous ressentons partout dans les quartiers populaires, est assurément une source d’espoir en plus d’être une réponse à l’insupportable coup de force du gouvernement. Chacun l’a compris : le sarkozysme pourrissant sécrète de la violence sociale à haute dose. C’est donc ici-maintenant qu’il faut répliquer en masse. Quant à ceux qui se bercent d’illusions en pensant déjà à 2012, il n’est pas vain de leur rappeler que, pour faire reculer cette contre-réforme, mieux vaut se mobiliser aujourd’hui que d’attendre un hypothétique changement dans deux ans, voire une éventuelle mutinerie anticapitaliste au sein du FMI… Non, ce n’est pas par nostalgie que deux Français sur trois soutiennent la lutte pour les 60 ans, mais par esprit du bien commun. C’est l’exigence de cet esprit qui nous pousse à nous engager à fond pendant qu’il en est temps. Mardi 12, puis samedi 16 octobre. Et plus si affinités…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 11 octobre 2010]
(A plus tard...)

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