lundi 28 juin 2010

Bienvenue dans la France de L’Oréal

Il aura donc fallu du temps pour que les médias s’emparent d’un dossier qui fait désormais craqueler les lambris de l’Élysée. Ce qu’il faut bien appeler «l’affaire Woerth-Bettencourt» a évidemment fait couler moins d’encre et de salive que les frasques de nos Bleus en Afrique du Sud. Seulement voilà, depuis que les hommes de Domenech ont reçu plumes et goudron, un autre feuilleton beaucoup plus glauque nous délivre quotidiennement des informations révélatrices de l’état dans lequel se trouve notre pays. Du Fouquet’s à Bettencourt, au fil des coups portés à l’esprit républicain, comment ne pas constater avec effroi l’épouvantable dégradation du climat politique?

La puissance (en euros) des copains et des coquins de la sarkozye projette sur l’Hexagone une lumière aveuglante sur une morale publique totalement dévoyée. De ce point de vue, les liens entre le ministre du Travail, Éric Woerth, par ailleurs ancien ministre du Budget, et madame Liliane Bettencourt, à la tête de la fortune que l’on sait, sont édifiants. Où l’on parle d’évasion fiscale avérée, d’une corrélation possible entre l’embauche de madame Woerth et la présence de son mari au gouvernement. Où l’on évoque le fait que Bercy était prévenu dès 2009 de la situation fiscale de la patronne de L’Oréal. Où l’on apprend qu’il pourrait y avoir une nouvelle «affaire fiscale» avec la famille Peugeot…

La collusion entre les arcanes du pouvoir sarkozyste et les puissances de l’argent vire à la putréfaction idéologique – le poisson pourrit toujours par la tête – et nous fait plus penser à une République bananière qu’à une nation digne d’exemplarité… Après Kouchner (ses accointances avec des dictateurs africains), Blanc (les cigares), Joyandet (116 000 euros d’avion privé, les affaires immobilières), voici Woerth. Tous maintenus dans leurs fonctions alors qu’ils ont en commun d’avoir franchi les limites de l’indécence.

Si nous devons respecter au plus haut point la présomption d’innocence, tout en espérant que la justice œuvre en sérénité (sic), ne nions pas la gravité de l’affaire Woerth-Bettencourt. Elle est le sceau du sarkozysme et elle nous plonge dans les secrets du vrai pouvoir, du médiocre et du somptuaire mêlés, symbole d’un système. Le mélange des genres est consubstantiel au sarkozysme: conflit d’intérêts permanent, domination des intérêts privés, mépris de l’intérêt général… En d’autres temps, Éric Woerth aurait déjà été écarté. Au contraire reçoit-il des soutiens si appuyés, si grandiloquents qu’ils nous feraient passer, nous aussi, pour de vulgaires chiens de meute! Et pendant ce temps-là? Sarkozy parle de morale à nos Bleus… et le ministre du Travail peut continuer à s’occuper de la démolition de nos retraites, comme si de rien n’était…

Qu’on se le dise! La virulence de notre critique légitime ne nous fera pas sombrer dans l’un des pires dangers qui menacent la France, et pour cause: le populisme à tous les étages. Reconnaissons que l’agenda idéologique, depuis 2007, a pour le moins favorisé le terrain de la démagogie, des mensonges, de la xénophobie, de la division… Pour éviter le triomphe de la rumeur et de la suspicion généralisée, Éric Woerth doit s’expliquer, entièrement. Mais le fera-t-il?

La quasi-fusion du pouvoir politique, d’un certain pouvoir judiciaire et de l’oligarchie financière est telle que la tentation sera grande de régler en catimini leurs petites et grandes affaires. Voilà la France de L’Oréal et de Sarkozy, née d’une conception ultralibérale de la société, soumise à une nouvelle architecture de subordination… Récemment, l’ineffable Jean-françois Copé avouait qu’il redoutait une prochaine «nuit du 4 août». La France ne le vaut-elle pas ?

[EDITORIAL publié dans l'Humanité le 28 juin 2010.]

(A suivre...)

3 commentaires:

  1. Je n'ai vraiment rien à ajouter à ce texte admirable, que je partage à 100%. En effet, la Sarkozye doit rendre des comptes, mais il ne faut pas que cela nourrisse le poujadisme ambiant: Marine Le Pen est déjà en embuscade pour 2012. Attention !!!

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  2. Merci à DUCOIN pour ce beau texte, que j'ai avec beaucoup de gravité. En effet, la situation est grave et le populisme n'est plus, hélas, une menace : nous sommes en plein dedans ! Il existait avant Sarkozy, bien sûr, mais il a tout attisé, tout surdimentionné. Avec lui, le pire est sans doute devant nous.

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  3. 100% D'accord. . . De jour en jour, le pouvoir politique nous dégoute. Aucune éthique, pour ces liberaux à qui rien ne fait plus honte. Aucune démission met pris la main dans le sac. Aucune réaction même avec un million de français dans la rue. Depuis Sarko la France est redevenue une monarchie. Tous à vos bulletins de vote en 2012 pour nettoyer l'élysée au Karcher.

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