Parfois s’escarpent des mots plus muets que nature. Parfois, il faut s’employer pour défendre ces mêmes mots. Leur donner de la chair. De la consistance. Bref, du sens. Et si possible un sens le plus engagé qui soit…
Sur les routes du Tour de France, la plupart des journalistes ne se considèrent pas comme des
« acteurs ». Ils se disent même « observateurs étrangers ». C’est le point de vue, par exemple, d’un des plus talentueux représentants de la presse quotidienne nationale, pour lequel il n’y a pas à discuter cette position « de principe », dit-il. Nous en parlons souvent avec lui. Mais il n’en démord pas : « Si nous aspirons à devenir des acteurs, d’une manière ou d’une autre, et quoi qu’on fasse, nous sommes au mieux des utopistes, au pire des naïfs. » Vieille argumentation, celle de la posture de "neutralité", voire de "l'objectivité"...
Lui porter la contradiction et même citer Sartre
(« décrire le monde c’est déjà vouloir le changer »), ne change rien, précisément. « Le Tour est un bocal que nous devons raconter, nous n’avons pas d’idées à faire valoir », poursuit-il.
Inutile de préciser que je conteste point par point cette argumentation. Et vous l'avez compris, je la conteste jusque sur les routes du Tour, cela va sans dire !
Le Tour de France est une chose trop sérieuse pour ne le laisser qu’entre les mains de ceux qui veulent, année après année, le transformer en foire commerciale, désincarnée des enjeux sociaux qui s’y nouent et des destins des hommes qui ont écrit et écrivent encore quelque fois sa légende…
Regarder ce monde en réduction en pleine dérive sans y apporter sa pierre, ses idées, ses combats, même modestement, serait pour moi, après vingt années d’expérience souvent douloureuses, une forme de désengagement (que notre interlocuteur reconnaît humblement d’ailleurs), pour ne pas dire un renoncement à tout ce que nous pensons du monde. Bref, une manière de se montrer cynique.
Du genre : « je vous vois, vous êtes tous aussi minables les uns que les autres, mais démerdez-vous, ce n’est pas mon problème »…
Eh bien non ! Eric Boyer ou Jean-René Bernaudeau, pour ne citer que ces deux-là, ne méritent semblable mépris. Car cette attitude, il faut bien le dire, revient à mettre sur un pied d’égalité les pires mafieux du cyclisme et ceux qui agissent, à leur niveau, certes, mais avec courage, pour transformer les choses.
S’incarner dans le journal de Jaurès, c’est décidément une autre histoire. Appelons cela (immodestement, tant pis), une « philosophie du journalisme d’engagement, en toutes choses et en tous lieux, structurée sur une philosophie des idées et des mots ». Voilà. C'est dit. Doit-on en rougir pour autant ? Et est-ce présomptueux de porter ces valeurs ici même sur les routes populaires de la Grande Boucle ?
Certainement pas.
Au passage, je me permets de citer un internaute qui, sur ce blog, laissa ces mots il y a quelques jours : « Il y a deux choses dangereuses. Croire que l’on peut tout changer et croire que l’on ne peut rien faire. » J’adhère parfaitement à cette idée très jauressienne. Toujours tenter de réunir l’idéal et le possible.
Derrière un fait, un exploit, se cachent toujours des questionnements et même des raisons de compréhension des dispositions humaines et des corps sociaux qui les environnent. Refuser de se couler dans les moules conformistes, c’est aussi un acte de résistance. Le cyclisme, lui aussi, n'en a-t-il pas besoin ?
A plus tard…
je m'étonne que vous n'ayez pas parlé de l'accident qui a provoqué la mort d'une femme qui été venu voir le tour. Comment peut-on oublier l'image de cette personne au sol que le peleton dépasse sans qu'aucun coureur daigne s'arrêter, quelle inhumanité, comment pouvons nous encore accepter que pour une simple épreuve sportive il est la mort au bout. d'autant plus que pour le tour de france ce n'est pas la première fois que cela se produit déjà il y a quelques années un enfant de 7 ans été mort. Et la société du tour continue de faire business. Est ce que la mort d'un sportif de haut niveau a plus de valeur qu'une personne qui l'admire, tous les ans on nous parle de Simpson mort sur le tour après s'être dopé à mort. Par contre rien sur cet enfant de 7ans qui venait admirer le tour.
RépondreSupprimerJe regrette que même vous Mr Ducoin dont je lis les belles chroniques n'ayez pas écrit quelques lignes sur ce blog concernant ces drames qui sont les vrais drames du tour.
J'ai évidemment évoqué ce tragique événement, mais dans les colonnes du journal, pas sur le blog en effet. Je considère ce drame comme important, cela va sans dire.
RépondreSupprimerQuant à cet enfant de 7 ans dont vous parlez, je suppose qu'il s'agit de cet enfant tué par une voiture de la caravane Haribo, il y a quelques années : nous avions longuement écrit sur ce sujet...
JED
Cet excellent blog de Jean-Emmanuel a pour sujet le Tour de France 2009 et le cyclisme professionel de façon plus générale (dont l'évolution de ces 20 dernières années est un peu le reflet de notre société). le décès de cette femme est bien entendu tragique, mais que pouvait et devait faire le peleton passant devant cette personne qui venait de tenter de traverser la route devant un motard? Il n'y a pas de hiérarchie face à la mort... Ce triste fait divers est un drame du non-respect des consignes élémentaires de sécurité au passage du Tour, mais n'est pas le reflet de l'évolution des pratiques et meurs du cyclisme contemporain. On ne peut donc reprocher à l'ami Ducoin de ne pas l'évoquer dans ces colonnes.
RépondreSupprimerJed, bravo pour le blog, belle initiative. Ce qui m'intrigue, c'est que le type, à ce que tu racontes, est convaincu lui-même d'être hors-le-monde. Je ne sais si c'est de la candeur, de la suffisance ou du cynisme. Dès que tu commences à réfléchir, tu es perdu pour la cause... Rapide suggestion pour une chronique numéro 11 : ton sentiment sur la grève des coureurs menée par Jalabert, caviardant une étape de montagne à quelques encablures des Champs-Elysées. C'était quoi le fond de l'affaire ?
RépondreSupprimerAmitiés.