jeudi 23 juillet 2009

1989-2009 : mes détours du Tour (chapitre 5)

En 1989, je voyais donc le Tour comme une entreprise florissante en pleine croissance, ce qui n’était pas faux. Mais ce développement économique, qui ne cesserait plus depuis, n’était qu’une illusion d’optique. Pendant les affaires, il faut continuer l’« à-faire ».

Or le Tour, tout occupé qu’il était à l’exaltation de son propre développement, ne voyait pas une chose élémentaire, une chose pourtant éclatante que le premier intellectuel de passage aurait distingué au moindre coup d’œil : loin de poursuivre la longue ascension de son prestige, le Tour vivait son apogée. Ses derniers feux brûlaient, donc. Si j’avais eu la lucidité de tendre l’oreille, j’aurai perçu son chant du cygne.

L’honnêteté m’oblige : j’ai mis au moins dix ans avant de le comprendre. Et quelques années supplémentaires à l’admettre. C’est un peu comme le bonheur. On aspire tous au bonheur. On ne cherche que ça d’ailleurs. On court après. On s’essouffle. On transpire. On formule des rêves qu’on tente de ne pas perdre de vue, histoire de se fixer un cap, une direction, un sens.

Un jour, on définit son idée du bonheur. On l’intellectualise. On la « fixe » dans le temps et l’espace, on la programme presque, on la construit même en concepts – avant déconstruction. On se dit qu’on est sur le chemin, mais loin du but. Et puis on s’aperçoit que c’est déjà trop tard. Alors on se souvient, ému, de ces jours où l’on cherchait le bonheur, traquant dans ce passé perdu l’énergie qu’on y mettait, sans savoir qu’on le vivait pleinement, qu’on perdait du temps à le chercher alors qu’il était là. Devant nous.

Nous sommes toujours responsables du temps perdu.

À la fin des années 1980, je n’étais pas parvenu à ce stade de la réflexion. Pourtant je ne voulais pas perdre mon temps. Si suivre le Tour était un rêve absolu à assouvir, être accepté en tant que tel dans la « famille du vélo » m’apparaissait sinon une tâche impossible, du moins un souhait audacieux. Le journalisme me prouva que non.

Être de L’Humanité ne suffisait pas, certes, mais l’hono­rabilité du titre, créé en 1904, un an après le Tour, constituait une sacrée carte de visite pour tout nouveau postulant. Rien d’étonnant à cela. Albel Michéa et Émile Besson, mes illustres aïeux, donnèrent en effet au journal de Jaurès, dans des styles différents, ses lettres de noblesse en matière cycliste, politique et même littéraire. À tel point que L’Huma, dans la mémoire de la Petite Reine, compte pour certains tout autant sinon plus que L’Équipe ou Le Figaro.

A plus tard...

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