Donc, l’environnement du Tour me tendit les bras comme une amante à aimer. Mes premières années, disons jusqu’à la fin du règne de Miguel Indurain (1996), le mythe se solidifia en moi et m’offrait toutes les raisons de le choyer et de lui revendiquer une place unique en mon cœur. Ce à quoi j’allais assister néanmoins porte un nom : la captation d’héritage. Avant dilapidation pour le plus grand profits des petits marchands de commerce.
Le Tour acceptait non pas sa révolution mais son affaissement. Dans le même temps, nous vivions, nous, les passionnés aux âmes sensibles, la fin de notre Tour d’enfance.
A mesure que les escrocs remplaçaient les cracks (disons pour schématiser : Bjarne Riis plutôt que Laurent Fignon, Johan Bruynel plutôt que Cyrille Guimard) et que les coureurs de talents se voyaient humiliés par de petites frappes shootés jusqu’aux yeux (Evgueni Berzin plutôt qu’Eric Boyer), un décalage mortel se creusait entre la course et les coureurs, délivrant le message le plus mercantile qui soit : un modèle non-politique, violent et libéral à souhait, un monde fermé sur lui-même imposant ses « lois » particulières à tous, refusant le bien commun mais acceptant, parce que ça rapporte, la sélection naturelle des plus forts et la sommation mafieuse, « paie pour te doper, tu gagneras ».
La loi du fric.
La machine à spectacle, dont certains oripeaux étaient déjà en place depuis longtemps, certes, pouvait se donner à plein. Chaque année un peu plus, devant nos yeux délavés, même la caravane publicitaire de notre enfance n’était plus qu’un résidu du mythe.
Le « discours » du rêve, qui jadis était une figure imposée pour tout mendiant du Tour quémandant sa modeste part du gâteau (y participer suffisait, quelle que soit sa place), fut remplacé par la violence de l’utopie sous les feux croisés des caméras du marketing ambiant, triomphe obscène de la pensée de surface régie par la télé-surveillance.
Du coup, on ne « suit » plus le Tour, on « fait » le Tour. Nous ne sommes plus des suiveurs, mais des faiseurs. Les acteurs ont changé de camp. Les coureurs sont un prétexte, la télévision une raison d’être.
Et le Tour ? Un produit. Mais un produit qui rapporte : des dizaines de millions d’euros chaque année dans l’escarcelle du groupe Amaury, éditeur de l’Equipe et du Parisien. Mais pour durer, autrement dit s’installer dans le temps, un produit « efficace » nécessite un résidu mythique qui ne soit pas trop entamer par le produit lui-même, sa structure, son noyau, sa raison d’être.
C’est le cas du Tour. Depuis dix ans, les tourmentes successives auraient dû le terrasser, le renvoyer aux oubliettes de l’Histoire. Mais non. L’aura dont il dispose encore aujourd’hui n’est pas une fabrication de la publicité ou une invention marketing : c’est de l’Histoire, précisément, avec la majuscule qui sied à sa grandeur.
De l’Histoire de surface qui puise loin, très loin même, ses racines dans nos propres entrailles.
C’est notre histoire, en somme.
Qu’on le veuille ou non.
A plus tard...
Pour ma part, j'ai commencé à perdre la "foi cycliste" bien avant 1996 . En 1990, précisement, lorsque les italiens ont littéralement tout raflé sur leur passage. C'était déjà vraiment choquant..
RépondreSupprimerEt le grand Miguel Indurain portait le coup de grâce l'année suivante, dans l'ascension du Tourmalet ( et pourtant, je suis basque français ).
Je n'avais que 16 ans, j'avais lu " La fabuleuse histoire du Tour", de Pierre Chany, mais je ne comprenais plus grand chose au cyclisme.
Un podium Indurain, Bugno, Chiappucci, 2 ans aprés le trio Lemond,Fignon, Delgado, c'était bien plus qu'un changement générationnel.
C'était tout simplement la victoire de l'escroquerie aux dépens de la vérité sportive.
Le "vrai" cyclisme, même avec ses imperfections, ses lachetés, ses mauvais coups, était mort en 1990, au moment de l'arrivée des nouveaux vainqueurs du Tour: Sabino Padilla,Francesco Conconi, Michele Ferrari, Eufemiano Fuentes, Aldo sassi, Carlo Santuccione, etc, etc..
C'est exactement cela! Mais ça, le pauvra Gérard Holtz ne le dira pas...
RépondreSupprimerJ'espère que ce blog ne disparaitra pas avec l'arrivée du Tour
RépondreSupprimerMerci pour tous les bons papiers
Oui, Gérard, je pense comme toi : j'espère moi aussi que ce blog ne va pas disparaître avec la fin du Tour !!! Pitié !!!
RépondreSupprimerJe serai orphelin également si ce blog disparaissait ! A partir du Tour qui fait partie de notre patrimoine, que de bons papiers en effet...Une approche citoyenne qui nous a donné une grande bouffée d'air par rapport au matraquage politiquement correct de France Télévision. Service Public, que de crimes ne commet-on en ton nom !
RépondreSupprimerMerci pour cet éclairage intelligent sur le Tour (et le cyclisme en général)
RépondreSupprimerY aura-t-il une suite ?
Gérard P.