Ils ont voulu l’oublier, le supprimer. Mais il est là, le peuple.
Peur. Salaud de peuple! À la
manière de la célèbre réplique «Salauds de pauvres!» lancée par
le personnage de Grangil incarné par Jean Gabin dans la Traversée de
Paris (1956), adaptation d’une nouvelle de Marcel Aymé (le Vin de
Paris), le bloc-noteur repensa, cette semaine, à la séquence des
trois derniers mois qui viennent de s’écouler en se disant : rien ne sera plus
comme avant. D’un côté, un exécutif buté-borné sur sa réforme des retraites,
accompagné par une cohorte de personnages qui ne ressemblent, en définitive,
qu’à de simples esquisses de «l’art en politique» dans un
paysage de limbes. Au-dessus, donc, Mac Macron et sa première
sinistre en thuriféraires des pires horreurs du jupitérisme.
Du «ferme ta gueule» au «salaud de peuple»,
il n’y a qu’un pas. Largement franchi. Ils ont voulu l’oublier, le peuple, puis
le supprimer à la faveur de l’évolution «sociétale» et consumériste. Mais
il est là, le peuple. Il se réveille et se dresse à nouveau. Forcément,
beaucoup ont peur…
Nécessaire. De l’autre côté donc, au cœur d’une France debout sur ses deux jambes et le poing levé, la réponse des citoyens. Par des paroles, des gestes, de l’engagement à toute épreuve et des mobilisations qui ne sont jamais feintes et donnent le change. Des colères conjuguées ; des foules. Bref, un peuple. Comme dans un rêve éveillé – presque trop – à la mesure du ressentiment général. Gigantesque crise politique et sociale. Crise de régime, sur fond d’épuisement institutionnel. Fin de règne déjà visible. En somme, accumulation de crises multiples et à tous les échelons de la société, d’autant plus visibles et durement ressenties que les Français vivent mal dans leur pays lui-même. Et soudain, le surgissement de l’événement prévisible et nécessaire qui, sans en rajouter dans l’allégresse, donne une impression de situation prérévolutionnaire. Avec ses vieux militants que des décennies d’échecs et d’humiliations avaient laissés blessés, moqués et leurs successeurs pleins d’énergie, qui se lèvent tôt. D’autres encore, retraités, artistes, enseignants, médecins, juristes, etc., et beaucoup de jeunes, énormément de jeunes qui luttent pour leur vie en héritage. Et puis, admirables, ces syndicalistes couturés mais unis, qui se sont tapé la désindustrialisation à marche forcée, les charrettes de licenciements («plans sociaux» et autres «PSE», pardon) et les savants discours de pseudo-intellectuels grassement rétribués pour affirmer, sur les plateaux de télé de leurs coadjuteurs-éditocrates, que le prolétariat et le sous-salariat avaient disparu.
Raison. La
France des «oubliés» et des «invisibles», si exaltés par temps de
pandémie, n’en pouvait plus du fossé qui s’agrandissait entre eux et
les «gagneurs» de tout poil, sans parler de la poignée de puissants qui
dirigent la haute finance mondialisée en choisissant ses poulains comme ses
princes-présidents. Pour ces élites coalisées qui ont nié le sentiment de déclassement
qui étreint nos concitoyens, le peuple continue d’incarner le beauf
d’autrefois, symbole du mauvais goût, de la culture bon marché et de
l’ignorance, cette culture populaire caricaturée, moquée et au fond
méprisée par le gratin de l’intelligentsia dévastatrice de la petite
bourgeoisie – jusqu’au cœur d’une certaine «gauche». Avec sa réforme
des retraites, Mac Macron a provoqué l’incendie. Le bloc-noteur se
souvient des mots de Nicoléon, durant sa campagne de 2007, affirmant qu’il
voulait «reformater les Français». Seize ans plus tard,
la «foule» si odieusement définie par l’actuel prince-président s’est
transformée en peuple. Ce n’est pas que de l’instinct, mais aussi de la raison.
Celle qui conduit à se révolter contre la dictature de l’argent, contre
l’abandon des souverainetés populaires, contre l’injonction souriante qui nous
est faite de se replier chacun dans le narcissisme consommatoire… et
accessoirement contre l’idée de travailler plus longtemps, pour qui, pour quoi.
Salaud de peuple? Vive le Peuple!
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 14 avril 2023.]
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