De retour en France, dans la quatrième étape entre Dunkerque et Calais (171,5 km), victoire en solitaire du maillot jaune, le Belge Mathieu Wout van Aert (Jumbo). Six côtes répertoriées des monts du boulonnais étaient à franchir.
Calais (Pas-de-Calais), envoyé spécial.
Comme si nous subsistions dans l’entrebâillement d’une porte imaginaire, le retour sur le territoire national après un Grand Départ lointain nous rappelle toujours que le Tour, dans son insolente francitude à la conquête de nouveaux territoires à affranchir, ne dépend pas de ses champions mais domine ceux qui l’incarnent. Ainsi, les us et coutumes de notre monument de Juillet ressemblent parfois à des enclosures, quand les lois du genre, bousculées par des règles inédites, marquent la fin des droits d’usage. Avouons que les dernières heures parurent bien étranges à toute la caravane. Pour la première fois de l’histoire, après un transfert éreintant depuis les fjords enivrés du Danemark, les coureurs connurent donc une pause obligatoire, lundi, après seulement trois étapes. Une journée «off» supplémentaire, en plus des deux instaurés de rigueur depuis 1999. De quoi alléger le programme, ou le compliquer, chacun effectuant une sortie sur le vélo plus ou moins intense selon les équipes. Comme le rapportait notre druide Cyrille Guimard: «Puisque le triptyque danois n’a pas bouleversé ni décanté la hiérarchie, contrairement aux prévisions, on peut affirmer que le Tour débute vraiment dans le Nord… surtout après une journée de repos.»
Le chronicoeur, furetant de nouveau sur les routes pour s’imprégner de l’articulation réelle des choix, n’oubliait pas que la légende versifiée de la «plus belle course du monde» est devenue un exercice de résistance en intensité sélective, quand elle était, jadis, une épreuve d’endurance de l’extrême. Toutes les preuves se trouvaient sous nos yeux, dans la quatrième étape entre Dunkerque et Calais (171,5 km), sur un parcours accidenté et venteux dans les monts du boulonnais – qui eût été idéal pour Julian Alaphilippe. Six côtes répertoriées, dont la plus fameuse, celle pavée de Cassel (1,7 km à 4,2%), où Charly Mottet, Bernard Hinault ou Thomas Voeckler y bâtirent leurs succès sur les 4 Jours de Dunkerque. Ou encore celle du Cap Blanc-Nez, balayée par les embruns du bord de mer juste avant Sangate et plantée à dix bornes de l’arrivée (900 m à 7,5%) telle une juge de paix.
Il était à peine quatorze heures, sous un soleil entier à peine voilé, quand deux courageux croisèrent en pionniers le beffroi de Bergues, de la célèbre ville éponyme rendue mémorable, en 2008, par Bienvenue chez les Chtis, de Dany Boon, dont on se souviendra qu’il reste le deuxième film le plus vu dans les salles françaises de cinéma (derrière Titanic). Sans jouer du carillon, mais comme les jours précédents «à la maison», l’inénarrable porteur du Maillot à pois, le Danois Magnus Cort Nielsen (EFE), avait depuis le départ emporté dans sa roue arrière le Français Anthony Perez (Cofidis). Une échappée fleuve vouée à l’échec. Nous attendions de l’inattendu, nous eûmes un furtif aperçu, justement dans Cassel (km 30,7). A l’initiative des Quick-Step de Jakobsen, Asgreen, Lampaert et Sénéchal, équipe plutôt en terre conquise, le peloton se fendit en morceaux. Pas inquiet, le maillot jaune Wout van Aert (Jumbo), leader des débuts puis prochainement équipier de luxe pour Primoz Roglic et Jonas Vingegaard, avait déclaré la veille: «Nous allons continuer à essayer de combiner nos deux objectifs. Je suis bien parti pour le maillot vert et, au classement général, nous sommes restés hors de danger au Danemark.»
Puis nous constatâmes, fruit d’un schéma hélas assez désolant après l’atomisation des fuyards (Cort Nielsen d’abord, Perez ensuite), qu’il n’y aurait pas de baston générale avant le Cap Blanc-Nez. Une sorte «d’explosion» en brutalité, sans passer par la phase «laminoir». Tout explosa sous l’impulsion des Jumbo, afin d’éparpiller les sprinteurs et mettre sur orbite le maillot jaune en personne, le Belge Mathieu Wout van Aert, irrésistible de puissance et de prévisibilité. Dans les rues de Calais, cité de la dentelle et de la mode, le Dragon imaginé par l’artiste François Delarozière, construction colossale en acier et bois sculpté, possédant une mobilité inspirée des reptiles, se réveilla quelque peu sans pour autant déambuler ni cracher du feu. La foudre portait un autre nom de dragon, entre mythe et réalité: Wout van Aert. Il laissa derrière lui une trace incandescente et s’imposa en solitaire, la septième victoire d’étape de sa carrière. Sans aucun dommage pour Pogacar, Roglic et consorts.
Sur la côte d’Opale inondée de monde, à quelques lieux d’où s’élança Louis Blériot en 1909, le chronicoeur négligea la tarte au maroilles. Les yeux tournés vers la houle marine que les migrants dévorent d’envie mais que nous humons avec appréhension, nous pensâmes déjà à la suite des événements. A cette maudite épopée en ornières, ce mercredi, vers Arenberg et ses onze secteurs pavés. Un mini Paris-Roubaix susceptible d’un chamboule-tout – à force de l’espérer. Le Tour, fils visiteur de l’art roman et gothique et du grand large, fiancé aux tournures langagières populaires des mines, des usines et des champs, demeure cet espace nomade dans lequel l’humanité se réclame aussi pour l’usage savant de la topographie. Une porte ouverte vers l’imaginaire – ou pas.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 6 juillet 2022.]
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