Quand Thierry Henry insulte Saint-Denis.Polémique. Diantre, mais qu’arrive-t-il à Thierry Henry, pour oublier l’histoire et la piétiner à ce point? Vous le savez peut-être, mais, pour la première fois depuis 2006, le Stade de France, lieu mythique du sport français dans le quartier de la Plaine Saint-Denis, accueillera la finale de la Ligue des champions, le 28 mai prochain. Sur la plateforme américaine Paramount+, l’ancien footballeur iconique des Bleus était ainsi invité comme consultant à commenter les qualifications pour ladite compétition. Et là, patatras. Voulant corriger en direct une animatrice de CBS Sports, qui eut le malheur d’associer la ville de Paris à celle de Saint-Denis, où se situe depuis janvier 1998 le plus grand et prestigieux stade de notre pays, Thierry Henry lança une polémique assez indigne en déclarant: «Techniquement, faites attention, le stade est situé à Saint-Denis.» Jusque-là, tout allait bien. Sauf qu’il ajouta: «Le stade est à Saint-Denis, pas à Paris. Ce n’est pas Paris. Croyez-moi, vous ne voulez pas être à Saint-Denis. Ce n’est pas la même chose que Paris, croyez-moi.» La somme des sous-entendus apparaissant assez évidente, une polémique légitime s’ensuivit, à la mesure de ce que certains considèrent un «dérapage», mais qui, en vérité, témoigne d’un présupposé insupportable. Depuis une semaine, de nombreux Dionysiens s’indignent et ne cachent pas leur incompréhension devant de telles paroles, prononcées par l’un des héros de l’équipe d’Aimé Jacquet. Thierry Henry n’a-t-il pas brandi, ici-même, le trophée suprême qui fit entrer l’enceinte dans la légende du football mondial? Sentiment de honte et de colère…
Mensonge. Alors oui, Saint-Denis n’est pas Paris. Et? Quel est le problème? Thierry Henry ne veut donc pas vivre dans la Cité des rois, soit. Personne ne le force. En revanche, a-t-il seulement pris le temps, comme tant d’autres le firent jadis (Dominique Rocheteau par exemple), de découvrir la ville, d’en saisir toutes les richesses humaines, de parler avec ses habitants, avec sa jeunesse, avec ses élus, d’errer rue de la République, de visiter la Basilique, d’assister aux concerts du célèbre festival de musique? Sans doute pas, ou alors «en surface», incapable de voir et de comprendre. Pardon pour les excès, mais le bloc-noteur ne peut s’empêcher de penser aux dérives antérieures et aux fausses projections sur «sa» ville de cœur, jadis présentée en «Molenbeek-sur-Seine» par le Figaro Magazine, comme si rien ne changeait, comme si les intérêts bassement politiques et les folies médiatiques pipolisées trouvaient leur compte dans le travestissement d’une réalité déjà assez complexe pour ne pas avoir à en rajouter dans la désinformation, sinon le mensonge abject.
Résister. Non, contrairement à ce que nous entendons régulièrement, Saint-Denis n’est pas en «guerre» et les habitants encore moins des «survivants» frappés par la seule «insécurité», la seule «montée de l’islam», la seule «absence de vie sereine». Le bloc-noteur, qui a vécu plus de vingt-cinq ans dans plusieurs quartiers de la ville, a la prétention, quoique modeste, de savoir à peu près ce qui s’y passe et que, si la vie n’y est pas facile pour tous, cela tient moins aux personnes qui l’habitent qu’aux conditions sociales qui s’y déploient, comme dans bien des quartiers populaires de notre République. Comprenons bien: à Saint-Denis, malgré les efforts considérables et souvent admirables des élus locaux depuis des décennies, c’est bel et bien la brutalité de la vie sociale, et rien d’autre, qui a pris le dessus, et a fini par permettre aux citoyens de résister, entre joie et crainte, dans la part que le pays – et d’abord l’État – leur a réservée. Cruelle vérité: plus de vingt ans après, certains n’ont toujours pas digéré qu’un quartier populaire, grâce à son temple sportif, devienne un phare de la nation. De l’autre côté du périph, on continue de disserter, d’insulter, d’ignorer l’évidence… Cher Thierry Henry, venez nous rendre visite. L’Humanité y a son siège depuis 1989, nous en sommes fiers. Et sachez-le: cela ne vous coûtera que le prix d’un ticket de métro…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 13 mai 2022.]
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