Supprimer le corps préfectoral, vraiment ?
Consternation. «Un cataclysme… une déflagration !» Ces temps-ci, le langage de certains représentants de la haute administration témoigne d’un malaise si profond que nous ne savons pas jusqu’où ira cette forme de «divorce» avec le Palais. La «réforme de l’État», voulue par Mac Macron, s’apparente désormais à une guerre larvée. En décidant, début mai, de supprimer le corps préfectoral, tout en conservant la fonction de préfet, le premier sinistre a donc provoqué une nouvelle contestation dans les rangs des serviteurs «locaux» de notre appareil d’État. Une de plus, direz-vous, au sein de «l’élite» républicaine, déjà secouée par la fin programmée des grands corps des trois inspections générales (finances, affaires sociales, administration) et par le remplacement sine die de l’École nationale d’administration (ENA) par l’Institut national du service public (INSP). Une œuvre de «modernisation indispensable», répète-t-on dans l’entourage du prince-président. Sauf que, cette fois, les préfets ont été cueillis à froid. Beaucoup évoquent une «déstructuration», au nom d’une opération de communication politique de type «quoi qu’il en coûte». Dans le Figaro, un préfet témoignait en ces termes : «Une thérapie de la parole se déploie dans nos rangs. Plus qu’une fronde, c’est l’accablement, la consternation et la démobilisation parmi nous. Mais on ne peut pas s’opposer…»
Autorité. Le bloc-noteur pose la question : les préfets, chargés du «respect des lois» par l’article 72 de la Constitution, s’enfoncent-ils dans une posture totalement corporatiste, ou tentent-ils de s’opposer à une entreprise globale de liquidation, physique et morale, d’un des fondements de la République ? Dans la «préfectorale», comme l’appellent les initiés, à la fois survivance du pouvoir bonapartiste et néanmoins symbole fort de la permanence de l’État en toutes circonstances, les hauts fonctionnaires expriment une double crainte : ils redoutent une perte d’autorité, mais également une possible inféodation au pouvoir. L’un précise sa pensée : «Notre force, c’est notre statut. Sans lui, les nouvelles recrues risquent d’être soumises à l’exécutif politique et de ne pas être suffisamment expérimentées. Nous risquons, très vite, d’affaiblir la structuration de l’État, qui est le fruit d’une longue histoire.»
Déluge. Après avoir vanté les mérites du couple «maire-préfet», décrit comme le plus efficace à l’échelle locale dans la lutte contre la pandémie, l’annonce de cette «libéralisation» du corps préfectoral laisse songeur. Beaucoup y voient la main de la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, honnie par les représentants de l’État les plus opposés à cette réforme. Cette trentenaire, diplômée de l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC) et chantre de «l’efficacité des politiques publiques», est accusée de vouloir transformer les préfets en «managers» des territoires, dans une logique «infantilisante et caporalisante», ce qui réduirait «le bilan des préfets à une sorte de grille d’analyse venant tout droit des méthodes d’entreprises privées». En appuyant sur tous les leviers de la désorganisation, de haut en bas, à quoi joue Mac Macron ? Avec sa logique propre de la fameuse «entreprise France», il s’attaque aux corps de l’État et, par là-même, comme s’il l’assumait, il semble retirer à notre société son espèce «d’armure» qui la protège encore quelque peu, au moment où l’affaiblissement et l’affaissement de la République deviennent dangereux. Après lui, le déluge…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 21 mai 2021.]
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