Une question cruciale se pose, celle de l’universalité de l’accès au vaccin, au nom de l’Histoire, de la justice et de l’égalité.
Ces derniers jours, n’importe quel citoyen à la conscience aiguisée a dû se demander dans quel monde nous vivions pour que, à ce point, le goût du profit de quelques-uns s’expose à la face de tous. Alors que les annonces de progrès importants dans la quête d’un vaccin s’accumulent, et qu’un espoir déductif dégage un peu l’horizon, plusieurs patrons des laboratoires concernés ont automatiquement vendu des actions en Bourse tandis que les titres prenaient de la valeur. On passera sur les bénéfices réalisés par ces odieux spéculateurs, tant ils nous paraissent indignes par temps de pandémie. Quant au procédé – «légal», nous clame-t-on –, il témoigne juste de l’infamie de nos économies capitalisées.
L’affaire n’a rien d’anecdotique. D’autant que, dans ce monde sans pitié des trusts pharmaceutiques, une question plus cruciale encore se pose. Celle de l’universalité de l’accès au vaccin, au nom de l’Histoire, de la justice et de l’égalité. Les données du problème sont pourtant simples. Puisque le Covid-19 touche toute l’humanité, le futur remède pour le combattre doit être mis à la disposition de toute l’humanité. Si l’engagement de la gratuité semble acquis dans certains pays, l’actuelle course folle s’apparente toutefois à un «nationalisme vaccinal», au mépris de la solidarité entre humains et, surtout, en oubliant une réalité contre laquelle nous ne pouvons rien: personne ne sera en sécurité tant que nous ne le serons pas tous.
La recherche coûte cher ; les bénéfices aussi. Qui se souviendra que l’un des principaux potentiels vaccins, développé par la société de biotechnologie américaine Moderna, a reçu 2,48 milliards de dollars d’aides publiques dédiées? L’entreprise affirme néanmoins avoir l’intention d’optimiser sa découverte et a déjà vendu l’intégralité de ses options d’approvisionnement aux seuls pays riches, rendant ainsi impossible la protection d’un très grand nombre de personnes en situation de pauvreté. Nous sommes loin du partage des savoirs entre pays pour sauver des vies, et de la mise au ban par la communauté internationale des principes de certains brevets. Le coût estimé de la fourniture d’un vaccin à chaque individu sur la planète est inférieur à 1% du coût attendu de la pandémie sur l’économie mondiale. La moitié de l’humanité n’a accès ni aux services de santé les plus essentiels, ni à des sources sûres en eau potable. Aura-t-elle droit au vaccin?
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 18 novembre 2020.]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire