Le Sacré-Cœur classé aux monuments historiques. Une provocation.
Expiation. Quand on se permet de jouer avec l’Histoire, les brûlures du passé ne s’apaisent jamais. Ainsi donc, un siècle après sa consécration, la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, dans le 18e arrondissement de Paris, sera prochainement «protégée» au titre des monuments historiques. Cette décision, prise le 13 octobre par le préfet d’Île-de-France, après un avis favorable de la commission régionale de l’architecture et du patrimoine, apparaîtra pour beaucoup comme une heureuse nouvelle. Elle surprend autant qu’elle dégoûte le bloc-noteur, en tant que provocation et insulte à la mémoire des 30 000 morts de la Commune. Érigé pour faire payer aux Parisiens leur résistance aux Prussiens puis aux Versaillais, ce monument mériterait tout au contraire un déboulonnage en règle, une déconstruction historique conduite avec patience et intelligence. Au contraire, on lui réserve une consécration, à quelques mois du cent cinquantième anniversaire de la Commune. Comment rester calme? Rappelons que cette basilique, dite du «Vœu national», avait pour objectif d’expier la «déchéance morale» provoquée par les révolutions égrenées depuis 1789, auquel vint se rajouter l’expiation de la Commune de Paris déclenchée le 18 mars 1871 sur la butte Montmartre, lorsque les troupes d’Adolphe Thiers vinrent enlever les canons de la Garde nationale qui y étaient entreposés. Les batailles d’historiens n’y changeront rien. L’odieux «pain de sucre» de la butte représente tout à la fois le signe tangible de «l’ordre moral» voulu par l’Assemblée monarchiste élue en février 1871 et le symbole par excellence de «l’anti-Commune». Et les autorités de la France républicaine décident de le valoriser…
Honte. Par les temps qui courent, difficile de ne pas y voir une sorte de reprise en main idéologique. Nous savions que la droite versaillaise n’avait jamais faibli dans sa détestation de la Commune, une haine si puissante qu’elle fut toujours «pensée» et «théorisée» dans le prolongement des massacres de la Semaine sanglante. Que cette emprise conservatrice puisse se manifester à nouveau, de cette manière-là et avec cette morgue insoutenable, en dit long sur le moment que nous traversons. L’affront contre tous les combats ouvriers et politiques est tel que tout se passe comme si nos dirigeants se moquaient des décisions de la représentation nationale. Car l’amnésie atteint des sommets: le 29 novembre 2016, l’Assemblée nationale avait en effet voté une résolution «réhabilitant les communardes et communards condamné-e-s», demandant même que des efforts soient consentis pour «faire connaître les réalisations et les valeurs de la Commune». Et depuis? Rien. Alors que le pays traverse toutes les crises possibles et imaginables, y compris dans son propre rapport à son histoire intime, un seul signal semble s’imposer: les massacreurs sont mis en valeur. Honte à la France. «Qu’un lieu de culte soit choisi pour ce déni démocratique n’est digne ni de la République, ni d’une part non négligeable du monde chrétien qui aujourd’hui se reconnaît dans les valeurs humanistes de la Commune», déclare l’association les Amies et Amis de la Commune de Paris 1871, qui s’indigne à juste titre qu’«on salue une nouvelle fois les bourreaux » et qu’« on crache sur les victimes».
Gages. La République est malade de ses forfaitures. En 2021, le Sacré-Cœur deviendra monument historique, alors que la capitale ne possède toujours pas de station de métro au nom de la Commune, tel que le Conseil de Paris l’avait réclamé. Ce choix, éminemment politique, consiste à donner des gages à la part la plus réactionnaire du pays et apparaît aux yeux des authentiques républicains comme une concession inique attribuée aux forces rétrogrades. Le cœur des héritiers de la Commune saigne. Leurs mains tremblent.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 23 octobre 2020.]
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