Redépartementalisation(s)
Eloge de la Révolution...
Carte. Puisque le cœur politique possède aussi sa géographie, la réapparition de l’Histoire, avec un grand H, surgit parfois d’où on ne l’attendait pas. Nous constatons, alors, que nous avancions dans l’oublié, l’inexploré ou le dédaigné, quand bien même l’homme en partance soulève la poussière et laisse son empreinte d’argile, creusée de mille fatigues. Effaçons le remords de nos âmes anciennes et prenons au positif l’un des aspects inattendus de la crise sanitaire toujours en cours: voici le retour des départements et du couple préfet-maire! «Un univers que l’on croyait à jamais englouti a ressuscité», comme l’a écrit une chroniqueuse du quotidien le Monde (tout arrive), quand nous avons découvert sur nos écrans de télévision les cartes indiquant, département par département, l’intensité de l’épidémie de Covid-19. Admettons-le, cette cartographie a déclenché un réflexe d’une francité insolente mêlée d’une nostalgie historique autant que géographique. Soudain, cette France redessinait les contours surannés d’un Hexagone de salle de classe, comme une invitation à réciter ce que nos enfants n’apprennent plus: 01 Ain, 02 Aisne, 03 Allier… Ce que la chroniqueuse du Monde résumait finalement d’une formule qu’elle aurait pu nous emprunter: «Déconfinement, ce qu’on doit à la Révolution.» Vous ne rêvez pas…
Égalité. Un peu de mémoire. Si la «nécessité fait loi», selon la célèbre expression proverbiale, et si nous assistons à une sorte de redépartementalisation de la France jacobine, n’oublions pas que ceux qui s’en félicitent désormais sont les mêmes qui, depuis plus d’une décennie, nous annonçaient avec réjouissance la disparition programmée desdits départements, pris en étau entre les régions conquérantes dopées par le modèle libéral européen et les intercommunalités et autres mégalopoles créées à marche forcée. Rappelons à ce propos que les derniers projets de décentralisation fomentés par Nicoléon, Normal Ier et Mac Macron devaient ni plus ni moins les rayer de la carte. Et là, par la grâce d’un virus sournois, ils redeviennent le point nodal du déconfinement, le territoire à partir duquel réussira ou non la sortie de cette épouvante sanitaire. Cette fois, nous lisons dans le Monde: «À ce stade, un premier hommage doit être rendu à la Révolution française, car c’est elle qui, le 26 février 1790, décida de créer les départements, en lieu et place de la trentaine de généralités qui, sous l’Ancien Régime, servaient à administrer le pays par l’entremise d’intendants impopulaires, agents zélés de l’absolutisme royal.» L’idée révolutionnaire partait d’un principe d’égalité territoriale absolue: les départements avaient été découpés pour que tout administré puisse se rendre au chef-lieu en une journée au maximum. D’où cette constatation que nous partageons pleinement: «Que, trois siècles plus tard, le pouvoir central en revienne aux sources post-révolutionnaires de l’organisation géographique française en dit long sur l’inventivité de l’époque ou… la faiblesse d’aujourd’hui.» Espérons que cette mise à l’épreuve des préfectures, bras armés de l’État, et accessoirement du couple préfets-maires, ne soit pas le dernier avatar d’un échec programmé pour de mauvaises raisons, justifiant prochainement de nouveaux magouillages institutionnels. Mac Macron entendait supprimer au moins le quart des départements existants d’ici à 2022, ceux, dans un premier temps, qui jouxtent certaines métropoles (Bouches-du-Rhône, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, etc.), avec, au passage, le sacrifice de 120.000 agents publics, dont 70.000 dans la fonction publique territoriale, sans parler des quelque 10 milliards d’économie pour les collectivités. C’était avant. Depuis, ces mêmes collectivités sont en première ligne pour rendre solidaire cet État-monarque qui voulait leur faire la peau…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 15 mai 2020.]
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