jeudi 21 novembre 2019

Orchestration(s)

Place d'Italie : Manuel C., un éborgné de plus...
Place d’Italie, le «guet-apens»...

Paris. Que s’est-il vraiment passé place d’Italie, lors du 53e épisode des gilets jaunes, signant là, plus qu’ailleurs sans doute, par une certaine forme d’amertume, l’acte I de l’an II du mouvement? Plus exactement, comment a-t-on pu en arriver à ces scènes de casse dans un espace confiné par les forces de police, comme dans les crocs d’une mâchoire, jusqu’à ce que le piège se referme sur les manifestants, les vrais? Un an de colères, de luttes, de mobilisations hebdomadaires et de revendications. Un an de violences policières, de répression, de mépris et de privation des libertés. Et que retiennent le gouvernement et les médias dominants? Les agissements de quelques-uns détruisant du mobilier urbain ainsi qu’un monument à la mémoire du maréchal Juin dans le 13e arrondissement de Paris. Des dizaines d’individus cagoulés, bien utiles pour décrédibiliser l’action de plusieurs milliers de manifestants, dont on signalera au passage qu’ils furent contraints pour beaucoup, au fil des semaines, d’abandonner leur identifiant, le fameux gilet jaune. Le bloc-noteur s’obstinera à le répéter: ces scènes de casse – gonflées en pseudo-«chaos» par les chaînes d’information en continu – n’apportent rien au combat, au contraire, elles empêchent de précieux «temps de parole» pour parler avec sérieux et gravité de la colère qui continue de secouer les tréfonds de la société. Alors que la mobilisation du week-end a connu un léger regain par rapport aux semaines précédentes, tout semble ainsi orchestré pour nous épargner l’essentiel : la question sociale, écologique et démocratique.

Questions. Mais revenons à la place d’Italie. Notre confrère de Sud Radio, Didier Maïsto, aguerri de ces rassemblements, était présent. Il témoigne par ces mots: «Comme à chaque fois que ça chauffe vraiment, il y a trois catégories d’“hommes en noir”. Primo: des jeunes gens qui veulent en découdre et scandent “Aha aha anti, anticapitalistes”, qui sont absolument contre tout ce qui représente l’État. Secundo: des policiers de la BAC, vêtus de la même façon et qui, par petits groupes, interpellent via la technique du “saute-dessus” avant de se réfugier derrière un cordon de CRS ou de gendarmes mobiles. Tertio: une catégorie que j’appelle des “zonards”, qui cassent tout sur leur passage, sans discernement. Ceux-là, je ne sais pas qui ils sont. Ça fait quand même un peu barbouzes…» D’où d’innombrables questions concernant les circonstances de ce que certains nommèrent un «guet-apens». Pourquoi la préfecture avait-elle choisi une place en travaux, avec des échafaudages et du matériel de chantier à disposition, contre l’avis du maire de l’arrondissement, le socialiste Jérôme Coumet? Pourquoi avoir nassé tout le monde, avec les risques que les manifestants encouraient? Enfin, pourquoi avoir rendu la manifestation illégale au moment où elle devait démarrer, sous les nuages de gaz, alors qu’elle fut déclarée et acceptée? Aucune réponse «politique», sinon le choix assumé par le ministère de l’Intérieur de la répression «organisée» de tous côtés, comme pour étendre et maintenir la tension entre gilets jaunes et policiers. Avez-vous vu les images de ce journaliste grièvement blessé au visage après un tir de grenade lacrymogène? Avez-vous vu cette femme tirée par les cheveux sous les mains d’un agent de la BAC? Avez-vous vu cet homme piétiné? En revanche, vous avez assisté en direct à l’intervention ultra-solennelle du préfet de police, l’ineffable Didier Lallement, ce qui valut, sur BFM, ce commentaire du consultant police-justice, Dominique Rizet, qui ne passe pas pour un révolutionnaire: «C’est plus un discours de chef d’armée que de préfet de police.» En effet, le préfet a choisi «son camp». Celui de sauver les têtes de l’exécutif, qui ne tiennent désormais que par leurs «forces de l’ordre», puisqu’ils n’ont que cette expression à la bouche. Didier Maïsto évoque un «décalage de plus en plus grand entre le légal et le légitime», au service d’une seule stratégie, celle du «moi ou le chaos». Comment lui donner tort? 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 22 novembre 2019.]

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