La monumentale bévue attribuée aux autorités policières
écossaises n’exonère en rien les raisons quasi «mécaniques» de
l’emballement médiatique en lui-même.
Ni leçon inaugurale, ni conclusion définitive. Mais tout de même. Un événement d’une rare portée – mêlant tous les dispositifs imaginables de ce qui s’appelle «l’information» – s’est déroulé entre la police et les médias, sous le regard incrédule des citoyens. L’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès était une fausse information. Elle a été diffusée, puis commentée, répétée, disséquée, prolongée au-delà de toute logique, avant d’être finalement démentie. Comme beaucoup, face à ce fiasco, nous avons oscillé entre le ricanement et l’indignation. Sauf que la monumentale bévue attribuée aux autorités policières écossaises n’exonère en rien les raisons quasi «mécaniques» de l’emballement médiatique en lui-même, sachant, ne l’oublions pas, que chacun a commis l’erreur sans que quiconque ait menti sciemment. Néanmoins, le trouble général et légitime se résume par une question simple: comment en quelques heures, sinon en quelques minutes à peine, malgré la mise en garde du procureur de Nantes qui appelait à la prudence et aux vérifications d’usage, l’indicatif a-t-il pu chasser le conditionnel de rigueur? Une phrase et tout changeait: «Xavier Dupont de Ligonnès aurait été arrêté»…
Loin de nous l’idée de projeter l’Humanité au-dessus de la mêlée, encore moins sur un piédestal. Du fait du rythme de nos publications, nous avons échappé à l’effet de «troupe». Profitons toutefois de cet événement «hors norme» pour bien réfléchir. Soumis au règne de «maître lapin», où tout, tout-de-suite se doit d’être rapide, sans horizon, périmé et déjà recyclé, parler plus vite que de raison devient la norme, comme si le journalisme n’était qu’une marchandise consommable et déjà jetable. La toute-puissance de l’infobésité collective nous menace, chaque jour un peu plus. «L’info en continu est un piège que l’info s’est tendu à elle-même», disait, ce week-end, une sémiologue. Elle a raison. Tout le monde aurait donc oublié le «cas d’école» que constitua, en 2004, l’affaire du RER D? Un fait divers inventé, qui fit la une de l’actualité et mobilisa les plus hautes autorités de notre pays durant trois jours, jusqu’à la découverte de la supercherie.
La société tout entière est une nouvelle fois mise en garde. D’un côté: les journalistes et leur conscience, leurs devoirs, leur perfectibilité, cette fois mise en évidence par des «canaux officiels». De l’autre, le plus essentiel sans doute: les citoyens et l’apprentissage permanent de leur distance critique. Nous n’avons pas fini d’en parler…
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 14 octobre 2019.]
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