dimanche 28 avril 2019
vendredi 26 avril 2019
Argent(s)
Notre-Dame… et les Misérables.
Plainte. Que voulez-vous, la sidération ne passe pas… Une cathédrale en flammes – pas n’importe laquelle – et en partie détruite figure une plaie béante au cœur du monde, puisque Notre-Dame ravagée ne saurait détourner nos complaintes légitimes, quelles que soient nos raisons, et ce par quoi se fondent parfois nos mémoires collectives (lire le bloc-notes du 19 avril). Néanmoins, comment rester insensible devant le spectacle d’instrumentalisation attisé par le feu ravageur et l’ampleur d’une émotion subie par tout un peuple? Nous adulons le patrimoine des bâtisseurs, nous aimons l’Histoire à nous damner, mais nous abhorrons en revanche ceux qui, soufflant sur des braises encore chaudes, ont empoigné mécaniquement une espèce de choc des civilisations pour accréditer, sinon encourager, une invraisemblable et fantasmagorique «union sacré». Une névrose de classe pour beaucoup ; un réflexe pathologique pour d’autres. Les pompiers de Paris n’avaient pas encore circonscrit l’incendie et empêché l’effondrement de la cathédrale que des trombes de ferveur religieuse et de cléricalisme capitaliste s’abattaient sur la France, tentant d’imposer leur vision de «l’événement» et de submerger l’émotion populaire. Mieux, le miracle de saint Fisc a transformé de l’argent privé en bénédiction publique, purifié par Bercy, comme s’il convenait d’oublier sa laideur et ses origines. Ou comment soulager l’argent mal acquis. Depuis, tenez-vous bien, la prière des généreux et intéressés donateurs est exaucée: toute plainte qui se détourne «de l’objectif» s’avère indigne, toute souffrance alentour qui crie détresse sur les ronds-points ou ailleurs est sommée de se taire, sous peine d’excommunication nationale pour défaut de cœur. On croit rêver. Mais non.
Obole. Que le bloc-noteur soit pardonné. Mais les cendres ne sont pas encore froides que les fortunés scandaleux, dont parmi eux certains qui réussissent l’exploit de ne jamais payer l’impôt en France, se précipitent pour apporter leur obole à la modeste nation que nous sommes devenus, incapable, à l’inverse du passé, de réparer les catastrophes par la seule volonté de sa puissance d’État. Quant aux autres, n’en doutons pas, ils bénéficieront de ristournes, d’exonérations ou de divers avantages qui transformeront les «cadeaux» en bonnes affaires. Un joyau national n’a pas de prix. Qu’importe si le repentir ne passe ni par l’argent des indulgences, ni par la violence du marché, ni par le pouvoir des princes. Et nous devrions benoîtement nous enthousiasmer? Et nous sommes censés taire que ce «pognon de dingue» n’ira ni aux écoles, ni aux hôpitaux, ni aux services publics?
Plainte. Que voulez-vous, la sidération ne passe pas… Une cathédrale en flammes – pas n’importe laquelle – et en partie détruite figure une plaie béante au cœur du monde, puisque Notre-Dame ravagée ne saurait détourner nos complaintes légitimes, quelles que soient nos raisons, et ce par quoi se fondent parfois nos mémoires collectives (lire le bloc-notes du 19 avril). Néanmoins, comment rester insensible devant le spectacle d’instrumentalisation attisé par le feu ravageur et l’ampleur d’une émotion subie par tout un peuple? Nous adulons le patrimoine des bâtisseurs, nous aimons l’Histoire à nous damner, mais nous abhorrons en revanche ceux qui, soufflant sur des braises encore chaudes, ont empoigné mécaniquement une espèce de choc des civilisations pour accréditer, sinon encourager, une invraisemblable et fantasmagorique «union sacré». Une névrose de classe pour beaucoup ; un réflexe pathologique pour d’autres. Les pompiers de Paris n’avaient pas encore circonscrit l’incendie et empêché l’effondrement de la cathédrale que des trombes de ferveur religieuse et de cléricalisme capitaliste s’abattaient sur la France, tentant d’imposer leur vision de «l’événement» et de submerger l’émotion populaire. Mieux, le miracle de saint Fisc a transformé de l’argent privé en bénédiction publique, purifié par Bercy, comme s’il convenait d’oublier sa laideur et ses origines. Ou comment soulager l’argent mal acquis. Depuis, tenez-vous bien, la prière des généreux et intéressés donateurs est exaucée: toute plainte qui se détourne «de l’objectif» s’avère indigne, toute souffrance alentour qui crie détresse sur les ronds-points ou ailleurs est sommée de se taire, sous peine d’excommunication nationale pour défaut de cœur. On croit rêver. Mais non.
Obole. Que le bloc-noteur soit pardonné. Mais les cendres ne sont pas encore froides que les fortunés scandaleux, dont parmi eux certains qui réussissent l’exploit de ne jamais payer l’impôt en France, se précipitent pour apporter leur obole à la modeste nation que nous sommes devenus, incapable, à l’inverse du passé, de réparer les catastrophes par la seule volonté de sa puissance d’État. Quant aux autres, n’en doutons pas, ils bénéficieront de ristournes, d’exonérations ou de divers avantages qui transformeront les «cadeaux» en bonnes affaires. Un joyau national n’a pas de prix. Qu’importe si le repentir ne passe ni par l’argent des indulgences, ni par la violence du marché, ni par le pouvoir des princes. Et nous devrions benoîtement nous enthousiasmer? Et nous sommes censés taire que ce «pognon de dingue» n’ira ni aux écoles, ni aux hôpitaux, ni aux services publics?
vendredi 19 avril 2019
Catastrophe(s)
Même avec Notre-Dame,
la mémoire n’appartient qu’au peuple…
Pierres. Par leur
caractère irraisonné, les catastrophes disent toujours quelque chose des
époques où elles surviennent et témoignent, au hasard des vies ébranlées à la
hauteur des mécomptes et des actifs de l’Histoire, de ce que les hommes maçonnent
par un double orgueil: beauté, éternité. Notre-Dame de Paris ne serait
qu’un tas de pierres – certes consacré par religion – si l’imaginaire commun ne
l’avait assemblée par l’esprit et l’écrit dans une sorte de création humaine
universelle non réductible à sa seule fonction, comme marquée «d’une
telle griffe de lion, que personne désormais ne se hasardera d’y
toucher», pour reprendre les mots de Michelet. Une vieille cathédrale huit
fois centenaires, dont nous savons tout ou presque, adossée néanmoins à un
autre édifice tout aussi sacré, une cathédrale de poésie, aussi ferme que les
fonds baptismaux de l’autre, aussi puissante et symbolique que ses tours, sa
flèche et ses rites ancestraux. Que de chemin parcouru. Que de drames et d’évidences,
depuis le chef d’œuvre de Victor Hugo, en 1831: «Notre-Dame est
aujourd’hui déserte, inanimée, morte. On sent qu’il y a quelque chose de
disparu. Ce corps immense est vide ; c’est un squelette ; l’esprit
l’a quitté, on en voit la place, et voilà tout.» Devant le terrible spectacle
de flammes rutilantes qui rongèrent le cœur de Paris, nous repensions, comme
beaucoup, à ce monument de papier et à ces phrases prophétiques sur le monument
de pierre. Quelquefois, l’insensibilité n’est pas de mise devant ce qui nous
dépasse et nous réunit: appelons-cela une culture populaire, en tant que
formulation définitive. Les strophes, les fureurs, les joies, les illuminations
aussi, le monde entier en a eues et en aura encore en admirant les tympans de
la Dame, ses ogives et ses arcs-boutants, pas loin de la place Louis-Aragon, lui
qui hanta et exalta les lieux en les immortalisant dans Aurélien,
en 1944: «Ô les longues rues amères autrefois et le temps où
j’étais seul et un ! La marche dans Paris, cette longue rue qui descend
vers Notre-Dame !», ou dans Le Paysan de Paris, en
1926: «Qui n’a pas vu le jour se lever sur la Seine, Ignore ce que
c’est que ce déchirement, Quand prise sur le fait la nuit qui se dément, Se
défend se défait les yeux rouges obscène, Et Notre-Dame sort des eaux comme un
aimant.»
jeudi 11 avril 2019
Accident(s)
Mortels. Il existe en France un mal silencieux,
tapi dans les zones d’ombre de notre société que peu de spécialistes sondent
vraiment, une calamité si durable et violente qu’elle devient gênante pour ceux
qui constatent le massacre annuel, unis au courage des êtres violentés : les
accidents du travail. Les chiffres officiels, eu égard à l’opacité du sujet
dans beaucoup de cas, traduisent imparfaitement la réalité. Mais puisqu’il
convient de s’en tenir à un « cadre » de départ à partir duquel tout se
«juge», nous savons que 500 à 600 personnes perdent la vie, chaque
année. Terrifiant, non? Pour certains, pas tant que cela. Nous connaissons le
laïus habituel, qui consiste à comparer les époques en se disant – dieu merci!
– que «la situation s’améliore avec le temps»… Le nombre d’accidents du
travail mortels était en effet de 2 500 environ au début des années 1970 et de
1.400 au début du septennat de François Mitterrand. Leur «fréquence» a donc
baissé. Sans blague! Admettons que sont passées par là de meilleures
réglementations (tout de même), françaises et même européennes, et que la
tertiarisation des métiers a également modifié le paysage et la «dangerosité»
d’anciennes tâches, en particulier dans l’industrie, dont des pans entiers ont
été sacrifiés depuis. Seulement voilà, depuis deux décennies, le nombre de
morts est relativement stable, autour de 600 à chaque passage du réveillon.
Question impertinente: y prête-t-on plus attention pour autant? En somme,
doit-on s’en contenter, s’en satisfaire plus exactement, comme une vulgaire
ligne «comptable» qui, à chaque exercice, vient solder des vies humaines,
sans commentaires ni bilans? En vérité, cette «stabilité» des statistiques,
comme si elles étaient «acceptables», reste choquante en elle-même. Comme une
acceptation. Comme une évidence. Comme un «prix à payer». Mais une vie n’a pas
de prix…
Statistiques. Des études de l’Institut de veille
sanitaire (InVS) sur les accidents mortels d’origine professionnelle nous
inquiètent. La grande majorité des accidents (87%) touchent les hommes de
plus de 40 ans. Les secteurs concernés: la construction, l’industrie et
les transports.
mardi 9 avril 2019
Enfumage
Comment croire, alors que le grand patronat récupère déjà l'aubaine d’affichage et de communication de la loi Pacte sur les entreprises, à son impact sur la gouvernance?
Un supplément d’âme à bon compte ; un nouvel alibi pour le patronat… Ainsi pourrions-nous définir l’un des articles de la loi Pacte qui prévoit la possibilité de création d’un nouveau statut juridique dénommée «société à mission». Pour ses promoteurs, au grand bonheur du Medef, il s’agirait du niveau le plus abouti pour inclure des objectifs sociaux et environnementaux dans l’objet social de sociétés volontaires. Au départ, l’idée pouvait soulever quelques espoirs, au moins pour tenter d’en découdre avec la gouvernance des entreprises, dans un contexte de financiarisation à outrance de l’économie. A l’arrivée? Rien. Si l’entreprise a «une raison d’être» et «contribue à un intérêt collectif» (que de mots faciles à intégrer dans une charte d’intention!), il ne reste aucune des idées portées par les syndicats, par exemple le renforcement du nombre d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de 1000 salariés…
Donc il y aura l’affichage symbolique… et les actes. Que du vent, en somme: «Il faut que tout change pour que rien ne change.» Nous ne minimisons pas l’intérêt de l’introduction de la «raison d'être» dans les statuts de l’entreprise. Mais soyons sérieux. Comment croire, alors que le grand patronat récupère déjà cette aubaine d’affichage et de communication, à son impact sur la gouvernance? Le message délivré est clair. Rien ne va plus dans cette société globalisée? L’entreprise est là pour nous sauver! La bonne blague…
Nous ne pensons pas, à l’Humanité, que tous les entrepreneurs soient par nature des salauds, des profiteurs avides de pouvoir et d’argent. Ce que nous pensons, en revanche, comme nous l’a enseigné la crise de 2008, et tant d’autres épisodes, c’est que les entreprises ont connu une sorte de «déformation» de leur gouvernance, résultat d’une industrialisation de l’actionnariat, qui a doté les investisseurs de techniques destinées à maximiser leurs bénéfices, à n’importe quel prix. Oui, nous vivons sous la pression du dumping social, fiscal, environnemental: le marché cherche en permanence à amoindrir les règles pour se livrer à cette guerre économique qui réduit toutes les dépenses, sauf la rémunération du capital. Ce nouveau texte de loi de «bonne conscience» aidera les entreprises à enfumer les crédules. Seulement les crédules…
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 10 avril 2019.]
jeudi 4 avril 2019
Stigmatisation(s)
Dire que le chômage paye mieux que le travail est un mensonge!
Dire que le chômage paye mieux que le travail est un mensonge!
«Confort». À en croire certains – de plus en plus nombreux –, le chômage serait donc un bienfait, une situation enviable en quelque sorte, presque un «statut» privilégié que les citoyens, massivement bien sûr, aspireraient à conquérir, tel un graal… Vous en doutez? Mais que voulait signifier l’ineffable Muriel Pénicaud, alias ministre du Travail, en déclarant qu’«un chômeur sur cinq perçoit plus au chômage qu’avant», ce qui, sans surprise, a depuis déclenché une bien belle polémique? À la décharge de la susnommée, rappelons que, fin février, lors du début de la reprise en main de l’assurance-chômage par le gouvernement, le premier ministre en personne, Édouard Philippe, avait déjà expliqué qu’il fallait que «le travail paye toujours plus que le chômage». Même allusion ; identique méthode ; semblable phraséologie. Résumons. Pour la ministre, le taux de remplacement supérieur à 100% d’un salaire antérieur serait une sorte de «norme» inacceptable. Pour l’hôte de Matignon, ce système aurait – cela va sans dire – pour conséquence de maintenir les sans-emploi dans le «confort» du chômage. Nous connaissons l’histoire par cœur: chassez le naturel, il revient toujours en marche! Mac Macron avait prévenu, en débitant ses vœux pour 2019, que l’exécutif renforcerait les sanctions encourues par les chômeurs qui ne «recherchent pas suffisamment un emploi». Les idées pourrissent toujours par la tête: encore et toujours la stigmatisation des sans-emploi, tous accusés d’être des fraudeurs ou des profiteurs. Résultat, la chasse est ouverte, les radiations s’enchaînent, entraînant des précarisations rampantes. D’autant que, et ne l’oublions jamais, affirmer que le chômage paye mieux que le travail est un mensonge éhonté!
Précaires. Depuis quelques jours, nous assistons même à une guerre des statistiques. Tenez-vous bien. Après les propos de Mme Pénicaud, l’Unédic a réagi illico, rectifiant le chiffre de l’ex-directrice des ressources humaines (sic) du groupe Danone. Selon l’organisme, seuls 4% des chômeurs peuvent percevoir une indemnité supérieure à leurs anciens salaires.