jeudi 29 novembre 2018

Lumière(s)

Il suffirait d’un rien… pour que beaucoup de choses changent.

Récital. Il suffit parfois d’un rien pour que le soupçon de l’ivresse nous gagne et nous chavire. Quelques lignes d’un poème, d’une prose. Des regards clairs et droits où se mêlent en son creuset ceux de la complicité intime. Des mots, distillant cette musique verbale du passé qui ne s’enfuit pas. Une colère, une passion, une dissemblance, une diversité puis une complémentarité absolue comme ciment de l’autre quand cet(te) autre cherche et trouve la merveilleuse délicatesse d’une fusion de couple dans l’aveuglante lumière de l’amour, premier chemin révolutionnaire en tant que nouveau monde à bâtir. Oui, il suffit d’une grâce partagée, l’origine d’une odyssée se faisant miroir, celle qui se trouve nichée dans le secret des choses cachées depuis la fondation de la conscience humaine comme clef d’un nouvel âge d’or toujours à-venir… Vous aimez les sentiments? La beauté? Les Lettres de pourpre enfantées dans la singularité de deux êtres uniques? Croyez le bloc-noteur sur parole. Le récital poétique et littéraire mené par Ariane Ascaride et Didier Bezace ("Il y aura la jeunesse d’aimer"), qui rendent hommage à Elsa Triolet et Louis Aragon, est comme un fragment lumineux capable de redonner goût, force et vigueur aux plus éteints d’entre nous, quand, sournoisement, dans les crépitements d’une actualité brouillonne peu soucieuse des principes, nous négligeons la cause et ses traces, la structure et les événements. Notre société sacrifie l’important à l’urgent et l’ensemble au détail, pratiquant l’oubli des antécédents. Avouons que le plus savoureux, dans cette histoire, est encore que nous n’y sommes pas pour rien. Nous (osons le «nous»), hommes de cœurs engagés et de bonne volonté, dévots lecteurs des Misérables, qui avons pris fait et cause pour les gens de peu. Notre lignée est coresponsable. Elle n’a pourtant pas à rougir. À leur manière, Elsa et Louis nous y invitent. Nous avons une sorte de créance en faveur de l’aventure collective et de nos beaux emportements. Nous ne nous en sortons jamais seuls; les hommes se sauvent ensemble ou pas du tout. 

Rosée. Vous connaissez l’expression consacrée: cette longue lignée continue de nous pousser dans le dos. Celle d’une culture comme bataille. Celle d’une bataille culturelle, souvent première à éclairer la nuit en politique. Admettons une bonne fois pour toutes que l’art de la lutte collective n’est pas fait pour ceux qui veulent avoir des preuves, mais pour ceux qui veulent avoir des épreuves. Aucune n’est une partie de plaisir, l’histoire nous l’a assez démontré – surtout à nous autres, n’est-ce pas? L’esprit militant composé de dévouement, d’austérité, de frugalité et de renoncement a-t-il encore un futur? Et un futur au pluriel? Pour nous autres héritiers d’un je-ne-sais-quoi très authentique, au moins un invariant demeure : nous ne sommes pas vraiment de gauche sans prendre sur soi et refouler quelques (bas) instincts, tout ceci supposant un minimum de sublimation afin de s’incarner dans quelque chose qui nous dépasse. Sans être béat du siècle des Lumières, tenons avec Condorcet que «le progrès des lumières politiques dépend du progrès des lumières tout court». Si la période contemporaine a contribué à les éteindre, nous en payons le prix cher. Nombreux sont ceux qui ont épousé la nouvelle religion de la performance et du profit, douloureux sacre de l’Homo œconomicus, avec l’extension de la norme à toutes les activités humaines, y compris les gratuites. Et si l’heure sonnait? Car, voyez-vous, la mise en attente dans un vestibule d’horreurs finit par exciter notre appétit de combat. Et, depuis peu, nous nous sentons moins seuls. Le trait majeur du climat spirituel où baigne notre présent reste la peur amputée de l’espoir. Pourtant, il suffirait d’un rien pour que la plante coupée, sèche et dessiccative, trouve sa sève à la faveur d’une nouvelle rosée. Quand la fumée des barricades embrasées offre aux illuminations de Noël un aspect d’étrange féerie, n’oublions pas que l’espérance se travaille au corps, par les mots, les actes et les idées.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 30 novembre 2018.]

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