Kanaky, l’éblouissant livre de Joseph Andras consacré à la figure de Alphonse Dianou, militant indépendantiste tué lors de la prise d'otages de la grotte d'Ouvéa, en 1988.
Dianou. Il y a deux sortes de livres: ceux que nous lisons; et ceux qui font mémoire. Dès les premières phrases de "Kanaky" (éd. Actes Sud, 300 pages), nous pénétrons dans cet ailleurs de la littérature qui nous arrache de l’ordinaire et maintient en vie ce haut lieu de l’écriture majuscule: «Dire l’homme dont on dit qu’il n’en est plus un. Cerner le point de bascule, l’instant où l’espèce tombe le masque et décanille, la bave aux lèvres et le poil dru. S’en aller à la frontière, pister la borne, sonder l’âme des nôtres en disgrâce, destitués, révoqués.» L’auteur, Joseph Andras, manie la plume avec d’autant plus de solidité et d’excellence qu’elle ose embrasser une vaste réflexion sur l’histoire, débutée en 2016 avec "De nos frères blessés" (Actes Sud), hommage au militant communiste Fernand Iveton, guillotiné pendant la guerre d’Algérie. Cette fois, Joseph Andras nous plonge dans les creux et les reliefs de l’affaire de la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, fruit d’un travail d’enquête dont on ne saurait qualifier l’origine tant elle remonte à la genèse référencée du genre. Avril-mai 1988: qui, d’âge raisonnable, ne se souvient de cette action menée par un groupe d’indépendantistes qui se solda par une intervention militaire d’une rare brutalité, et d’un bilan en forme de catastrophe pour la France, vingt et un morts, dont dix-neuf Kanak? Parmi les victimes, Alphonse Dianou, 28 ans, musicien, ancien séminariste, admirateur de Gandhi et militant charismatique du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste). Terroriste ou martyr, Dianou? Français ou «barbare» kanak? Pacifiste ou assassin? Chrétien ou communiste? «Un songe-creux envoûtant et égaré, au mieux; un dingue doublé d’une brute, au pis», écrit Andras.
jeudi 27 septembre 2018
jeudi 20 septembre 2018
Tremplin(s)
Après le succès éclatant du week-end dernier, et si l'on décrétait la «Fête de l’Humanité permanente»!
Cœur. Les voix fondamentales de l’Histoire ne changent pas – seuls changent ceux qui les écoutent. Au milieu de l’effondrement physique et moral généralisé à quoi se résume le vieillissement supposé de certaines de nos idées (pour ne pas dire «nos idéaux»), il reste un moment, un lieu, une réunion collective si puissante qu’elle apporte à elle seule le témoignage irrécusable de la persistance du caractère, des aspirations, des désirs, des inventions inouïes, de tout ce qui constitue nos personnalités singulières et pourtant réunies au-delà de l’imaginable: la Fête de l’Humanité. Réalisons bien! Si l’Humanité, le journal, est de manière avérée et reconnue, ce bien précieux qui nous hante et nous dépasse autant par l’épaisseur du temps que par son horizon infranchissable, la Fête de l’Humanité, elle, est son expression corporelle, son cœur battant une fois l’an, et lorsque nous sommes trop lâches ou trop indécis dans nos existences quotidiennes pour, encore, saisir l’engagement à bras-le-corps de peur que la vie ne reprenne ses cartes, il y a ces instants-là, vécus pour «faire les choses», entrer dans un bonheur possible, avec cette sensation utile et douce que quelque chose peut avoir lieu, à condition de se montrer digne du don qui nous est offert – digne, avec joie et fatigue, tout sauf neutre… Déjà presque une semaine d’écoulée et l’imprégnation de la Fête, telle une mémoire vive, refuse de se dissiper. Au contraire même, prend-elle un relief plus évolutif à mesure que le spectacle du retour à la vie «ordinaire» nous propose et nous impose les fracas d’une actualité – martelée n’importe comment – qui disperse et lasse les consciences collectives les plus avisées, à la hauteur de ce dont sont coupables les tenants de la médiacratie dominante, à la fois exercée pour ignorer et mépriser l’événement festif, culturel et politique de la Fête (une habitude dorénavant), mais également capable aussi (plus grave) d’en détourner le sens si besoin. La meilleure prophylaxie pour eux consiste à faire le vide, à essayer de faire le vide, pendant les tonnes d’heures de «cerveaux disponibles» qui leur sont accordées. Le bloc-noteur, comme vous chers lecteurs assurément, n’aime pas ces gens-là, leur égoïsme naturel et systématique, leur arrogance ignorante, leur méconnaissance originelle des lois essentielles qui régissent une République digne de ce nom, leur immoralité foncière et presque toujours (pour eux-mêmes) infructueuse. L’immense succès de la Fête les gêne? Oublions-les. Soyons plus forts que «ceux-là». Pour une raison simple. Le Peuple de la Fête porte une exigence que «ceux-là» ne soupçonnent pas, une sorte de «message»: de quelle société voulons-nous, refusant l’alternative absurde qui consiste à nous enfermer soit dans le monde mondialisé et globalisé, soit dans la nation archaïque…
Cœur. Les voix fondamentales de l’Histoire ne changent pas – seuls changent ceux qui les écoutent. Au milieu de l’effondrement physique et moral généralisé à quoi se résume le vieillissement supposé de certaines de nos idées (pour ne pas dire «nos idéaux»), il reste un moment, un lieu, une réunion collective si puissante qu’elle apporte à elle seule le témoignage irrécusable de la persistance du caractère, des aspirations, des désirs, des inventions inouïes, de tout ce qui constitue nos personnalités singulières et pourtant réunies au-delà de l’imaginable: la Fête de l’Humanité. Réalisons bien! Si l’Humanité, le journal, est de manière avérée et reconnue, ce bien précieux qui nous hante et nous dépasse autant par l’épaisseur du temps que par son horizon infranchissable, la Fête de l’Humanité, elle, est son expression corporelle, son cœur battant une fois l’an, et lorsque nous sommes trop lâches ou trop indécis dans nos existences quotidiennes pour, encore, saisir l’engagement à bras-le-corps de peur que la vie ne reprenne ses cartes, il y a ces instants-là, vécus pour «faire les choses», entrer dans un bonheur possible, avec cette sensation utile et douce que quelque chose peut avoir lieu, à condition de se montrer digne du don qui nous est offert – digne, avec joie et fatigue, tout sauf neutre… Déjà presque une semaine d’écoulée et l’imprégnation de la Fête, telle une mémoire vive, refuse de se dissiper. Au contraire même, prend-elle un relief plus évolutif à mesure que le spectacle du retour à la vie «ordinaire» nous propose et nous impose les fracas d’une actualité – martelée n’importe comment – qui disperse et lasse les consciences collectives les plus avisées, à la hauteur de ce dont sont coupables les tenants de la médiacratie dominante, à la fois exercée pour ignorer et mépriser l’événement festif, culturel et politique de la Fête (une habitude dorénavant), mais également capable aussi (plus grave) d’en détourner le sens si besoin. La meilleure prophylaxie pour eux consiste à faire le vide, à essayer de faire le vide, pendant les tonnes d’heures de «cerveaux disponibles» qui leur sont accordées. Le bloc-noteur, comme vous chers lecteurs assurément, n’aime pas ces gens-là, leur égoïsme naturel et systématique, leur arrogance ignorante, leur méconnaissance originelle des lois essentielles qui régissent une République digne de ce nom, leur immoralité foncière et presque toujours (pour eux-mêmes) infructueuse. L’immense succès de la Fête les gêne? Oublions-les. Soyons plus forts que «ceux-là». Pour une raison simple. Le Peuple de la Fête porte une exigence que «ceux-là» ne soupçonnent pas, une sorte de «message»: de quelle société voulons-nous, refusant l’alternative absurde qui consiste à nous enfermer soit dans le monde mondialisé et globalisé, soit dans la nation archaïque…
lundi 17 septembre 2018
Un rappel
Une question hante après
pareil succès de la Fête de l'Humanité 2018. Comment «poursuivre» la Fête? Plus
précisément, comment en préserver cette démesure humaine remplie d’espérance que nous-mêmes, peut-être,
n’évaluons-nous pas à sa juste valeur? C’est dire…
Quand les malins dominent (et pensent vraiment ordonnancer le monde et nos sociétés), nul ne nous interdit (c’est même indispensable) de trouver réconfort, grandeur et force dans ce moment vécu (aussi éphémère et éblouissant soit-il) avec celui que nous pouvons nommer le «peuple de la Fête de l’Humanité». Plus que ces dernières années sans doute, ne le cachons pas, l’après-Fête diffuse encore en nous de la mémoire vigilante et ce bien inestimable et rare, le «partage». Il nous hisse au-delà de nous-mêmes, nous contraint à une exigence neuve et nous impose de ne pas rompre la chaîne dont nous sommes tous les maillons, celle d’une conscience collective si puissante qu’elle nous dit quelque chose de différent…
Plus de 500 000 personnes. Et l’envie de prolonger. Comme si nous ne voulions pas en sortir… La participation solidement à la hausse de cette Fête 2018 participe évidemment de notre enthousiasme. Mais pas seulement. La majorité des visiteurs ont encore la tête dans les souvenirs vifs de ces trois jours vécus en apnée, fatigués mais comblés, vides mais remplis de courage. Pas étonnant. L’horizon qu’ils ont dessiné ensemble forme des ourlets que seule l’imagination collective déplisse à l’image de leur ambition. Pas que du rêve. Du concret.
Une question hante néanmoins chacun d’entre nous après pareil succès. Elle nous hante tant et tant que la poser provoque presque des tremblements: comment «poursuivre» la Fête? Plus précisément, comment en préserver jusque dans les moindres détails à la fois sa diversité, sa richesse et son intelligence, mais aussi son esprit de débats politiques et toutes ses audaces créatrices, bref, cette démesure humaine remplie d’espérance que nous-mêmes, peut-être, n’évaluons-nous pas à sa juste valeur? C’est dire…
La Fête fut un concentré vivant de l’Humanité comme idéal plus vaste. Des idées; de la nouveauté; de la maturité; et de la jeunesse. Plus qu’un espoir en vérité, un rappel. Jean-Jacques Rousseau l’écrivait en son temps: «Les particuliers meurent, mais les corps collectifs ne meurent point.» Prouvons que cette raison d’être n’a rien de chimérique.
Quand les malins dominent (et pensent vraiment ordonnancer le monde et nos sociétés), nul ne nous interdit (c’est même indispensable) de trouver réconfort, grandeur et force dans ce moment vécu (aussi éphémère et éblouissant soit-il) avec celui que nous pouvons nommer le «peuple de la Fête de l’Humanité». Plus que ces dernières années sans doute, ne le cachons pas, l’après-Fête diffuse encore en nous de la mémoire vigilante et ce bien inestimable et rare, le «partage». Il nous hisse au-delà de nous-mêmes, nous contraint à une exigence neuve et nous impose de ne pas rompre la chaîne dont nous sommes tous les maillons, celle d’une conscience collective si puissante qu’elle nous dit quelque chose de différent…
Plus de 500 000 personnes. Et l’envie de prolonger. Comme si nous ne voulions pas en sortir… La participation solidement à la hausse de cette Fête 2018 participe évidemment de notre enthousiasme. Mais pas seulement. La majorité des visiteurs ont encore la tête dans les souvenirs vifs de ces trois jours vécus en apnée, fatigués mais comblés, vides mais remplis de courage. Pas étonnant. L’horizon qu’ils ont dessiné ensemble forme des ourlets que seule l’imagination collective déplisse à l’image de leur ambition. Pas que du rêve. Du concret.
Une question hante néanmoins chacun d’entre nous après pareil succès. Elle nous hante tant et tant que la poser provoque presque des tremblements: comment «poursuivre» la Fête? Plus précisément, comment en préserver jusque dans les moindres détails à la fois sa diversité, sa richesse et son intelligence, mais aussi son esprit de débats politiques et toutes ses audaces créatrices, bref, cette démesure humaine remplie d’espérance que nous-mêmes, peut-être, n’évaluons-nous pas à sa juste valeur? C’est dire…
La Fête fut un concentré vivant de l’Humanité comme idéal plus vaste. Des idées; de la nouveauté; de la maturité; et de la jeunesse. Plus qu’un espoir en vérité, un rappel. Jean-Jacques Rousseau l’écrivait en son temps: «Les particuliers meurent, mais les corps collectifs ne meurent point.» Prouvons que cette raison d’être n’a rien de chimérique.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 18 septembre 2018.]
jeudi 13 septembre 2018
Mondialité(s)
Sarah Wagenknecht. |
Migrants. Ainsi donc, une partie de la gauche européenne dite de « transformation sociale » ne cacherait pas son inclination pour l’Allemande Sahra Wagenknecht, l’une des principales figures de Die Linke et à l’origine d’un nouveau mouvement, Aufstehen («Debout»), qui, certes, ambitionne de pousser les partis à replacer la question sociale au cœur des débats, mais en s’appuyant, en grande partie, sur la question de l’immigration pour y parvenir. Passons sur la visée politique consistant à ne pas laisser ce terrain idéologique aux extrêmes droites –cela répugne le bloc-noteur–, venons-en au sujet de fond. Car celui-ci semble hanter Sahra Wagenknecht. Ne dénonçait-elle pas, en 2016, «l’ouverture incontrôlée des frontières»? Et si elle continue de s’opposer au durcissement du droit d’asile, elle estime néanmoins que «plus de migrants économiques signifient plus de concurrence pour décrocher des jobs dans le secteur des bas salaires» et qu’«une frontière ouverte à tous, c’est naïf». Cette vaste problématique polémique, qui lui valut d’être désavouée par Die Linke, a depuis dépassé la frontière. Une interview dans l’Obs de Djordje Kuzmanovic, conseiller de Jean-Luc Mélenchon, le confirme. L’orateur national de la France insoumise y déplore ainsi «la bonne conscience de gauche» qui empêcherait «de réfléchir concrètement» à la question migratoire. Son objectif affiché: «Ralentir, voire assécher, les flux migratoires» par le recours au fameux «protectionnisme solidaire». Et il ajoute: «Lorsque vous êtes de gauche et que vous avez sur l’immigration le même discours que le patronat, il y a quand même un problème.» L’historien Roger Martelli, dans une tribune publiée sur le site de Regards, dénonce l’argument en ces termes: «N’est-on pas en droit de s’étonner plus encore quand, se réclamant de la gauche, on tient des propos qui pourraient être taxés de proches du discours d’extrême droite?»
Migrations. Mais que se passe-t-il? Tenter de (re)conquérir l’électorat populaire perdu à l’extrême droite, pourquoi pas. Mais de là à croire que le mouvement social critique parviendra à enrayer la poussée des pires idées identitaires en flirtant avec une part de ses discours...
dimanche 9 septembre 2018
Intervention citoyenne
Nicolas Hulot a porté un nouveau coup à
l’illusion macronienne en expliquant dans le détail ses échecs. Mais il
ajoutait: «Qui ai-je derrière moi?» C’était une critique franche
et massive envers la société tout entière, une sorte d’appel au secours
qui aura eu le mérite de relancer les mobilisations.
L’avenir de la planète, de l’écosystème et du vivant – donc de la place des êtres humains et, partant, de leur responsabilité anthropologique – est tout sauf un sujet neutre. Des dizaines de milliers de citoyens, réunis dans de nombreuses villes de France, viennent d’en apporter confirmation. Quelle que soit son opinion sur le passage controversé de Nicolas Hulot au gouvernement, au moins sa démission aura-t-elle donné du crédit à la formule populaire: «À quelque chose malheur est bon.» D’autant que les manifestants défilaient derrière une banderole témoignant à elle seule que ce sont bien les raisons du renoncement de l’ex-ministre qui importaient: «Changeons le système, pas le climat!»
Oui, nous vivons dans un monde malade d’un système: le capitalisme, intrinsèquement incompatible avec les préoccupations d’écologie de transformation sociale. Disons la vérité. Alors que l’homme blessé Nicolas Hulot portait un nouveau coup à l’illusion macronienne en expliquant dans le détail ses échecs, il ajoutait: «Qui ai-je derrière moi?» C’était une critique franche et massive envers la société tout entière, une sorte d’appel au secours qui aura eu le mérite de relancer les mobilisations. Inutile d’épiloguer. Sans l’intervention des peuples, rien ne nous fera croire que les États seuls – nous parlons là des mieux intentionnés – résoudront la crise écologique. Par ailleurs, comment ne pas constater que le mot «écologie» délivre parfois tous les passeports pour ne rien changer, que ce soit l’écologie libérale inscrite au cœur du marché, l’écologie actrice de compromis inopérants, sans parler de la social-écologie, cette sorte de fusion avec une partie de la social-démocratie et ses cortèges de renoncements. À commencer par le principal: la rupture avec le capitalisme et la finance…
Nous sommes meurtris par les égoïsmes systémiques des maîtres de l’économie globalisée, leur immoralité foncière, leur méconnaissance des lois humaines fondamentales qui les poussent dans les logiques destructrices du capital. Bâtir un nouveau monde – un vrai – suppose une nouvelle ère de l’humanité. Se développer autrement, produire autrement, consommer autrement. Et puis éradiquer les inégalités sociales et environnementales.
L’avenir de la planète, de l’écosystème et du vivant – donc de la place des êtres humains et, partant, de leur responsabilité anthropologique – est tout sauf un sujet neutre. Des dizaines de milliers de citoyens, réunis dans de nombreuses villes de France, viennent d’en apporter confirmation. Quelle que soit son opinion sur le passage controversé de Nicolas Hulot au gouvernement, au moins sa démission aura-t-elle donné du crédit à la formule populaire: «À quelque chose malheur est bon.» D’autant que les manifestants défilaient derrière une banderole témoignant à elle seule que ce sont bien les raisons du renoncement de l’ex-ministre qui importaient: «Changeons le système, pas le climat!»
Oui, nous vivons dans un monde malade d’un système: le capitalisme, intrinsèquement incompatible avec les préoccupations d’écologie de transformation sociale. Disons la vérité. Alors que l’homme blessé Nicolas Hulot portait un nouveau coup à l’illusion macronienne en expliquant dans le détail ses échecs, il ajoutait: «Qui ai-je derrière moi?» C’était une critique franche et massive envers la société tout entière, une sorte d’appel au secours qui aura eu le mérite de relancer les mobilisations. Inutile d’épiloguer. Sans l’intervention des peuples, rien ne nous fera croire que les États seuls – nous parlons là des mieux intentionnés – résoudront la crise écologique. Par ailleurs, comment ne pas constater que le mot «écologie» délivre parfois tous les passeports pour ne rien changer, que ce soit l’écologie libérale inscrite au cœur du marché, l’écologie actrice de compromis inopérants, sans parler de la social-écologie, cette sorte de fusion avec une partie de la social-démocratie et ses cortèges de renoncements. À commencer par le principal: la rupture avec le capitalisme et la finance…
Nous sommes meurtris par les égoïsmes systémiques des maîtres de l’économie globalisée, leur immoralité foncière, leur méconnaissance des lois humaines fondamentales qui les poussent dans les logiques destructrices du capital. Bâtir un nouveau monde – un vrai – suppose une nouvelle ère de l’humanité. Se développer autrement, produire autrement, consommer autrement. Et puis éradiquer les inégalités sociales et environnementales.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 10 septembre 2018.]
vendredi 7 septembre 2018
Effondrement(s)
Lorsqu’il laisse transparaître ce que nous pouvons considérer comme un cynisme complet, en particulier dans ces passages relâchés où il avoue tout uniment son mépris du peuple et de l’esprit français, nous voyons chez lui un effondrement moral généralisé à quoi se résume son pouvoir suprême.
Défiance. Fin, recommencement, prolongation et/ou perpétuation de quelque chose… Toute «rentrée» génère ses troubles et ses imperfections, quand vous reprend méchamment par la manche l’ardeur d’une actualité affligeante que vous aviez mise à bonne distance, moins par irrespect que par autoprotection passagère. Illusion. Le spectacle de la Macronie, pour tout scrutateur patenté, lasse autant qu’il réjouit l’imagination au cœur du réel. L’écrivain Philippe Besson –récompensé comme il se doit par un titre de consul, le croyez-vous?– avait sans doute raison: Mac Macron n’est qu’un personnage de roman, pour ne pas dire de fiction. Et si, dans le registre de l’ancien monde ou du siècle passé, voire du précédent, il nous fallait le caractériser, nous penserions à coup sûr aux pires personnages qui hantèrent jadis nos lectures adolescentes. Alors nous réaliserions qu’entre lui et «son» peuple (vu du haut vers le bas, bien entendu) plus rien n’aurait lieu, que plus rien ne pourrait jamais avoir lieu, que la vie (du bas vers le haut, cette fois) reprendrait ses cartes et ne laisserait de place ni pour l’enthousiasme, ni pour la croyance et la foi. Seules subsisteraient la résignation douce et cette pitié réciproque et attristée, auxquelles nous ajouterions le point ultime du désamour: la défiance. Une défiance totale envers l’homme, ses pratiques et même ses idées…
mercredi 5 septembre 2018
Le doute
Voulez-vous vraiment que votre employeur devienne votre
percepteur, avec des risques conséquents de rétention ou de fraude et,
ait accès, de surcroît, à vos données personnelles?
Les grandes décisions régaliennes ne se prennent jamais à la légère. Surtout quand il s’agit de nos impôts, l’une des prérogatives sacrées de l’État républicain. Le psychodrame politique auquel nous avons assisté concernant le prélèvement à la source n’a rien d’anecdotique. Il est même essentiel et témoigne de l’ampleur du trou d’air qui frappe l’exécutif. L’affaire a donc été tranchée par le président. Fin de la cacophonie, peut-être. Fin des inquiétudes, sûrement pas. Car cette réforme à haut risque, qui s’inscrit parfaitement dans les canons de Macron bien qu’elle fût initiée par son prédécesseur, possède désormais une double particularité: elle est à la fois synonyme de dangers et de doutes. Dangers, dans ses logiques mêmes. Doutes, dans la tête des citoyens contribuables, dont on mesure mal les effets psychologiques.
«Modernisation» et «simplification» sont les maîtres mots des thuriféraires de ce big bang fiscal aux vices cachés. Contrairement aux affirmations gouvernementales, le prélèvement à la source n’apportera aucune efficacité supplémentaire quant au recouvrement de l’impôt sur le revenu, celui-ci étant aujourd’hui recouvré à hauteur de 99% par l’administration, dont près de 70% au moyen des prélèvements mensuels. Mais, il y a plus grave, car cela touche aux principes d’organisation de la société républicaine: c’est à l’État de lever l’impôt. Voulez-vous vraiment que votre employeur devienne votre percepteur, avec des risques conséquents de rétention ou de fraude et, ait accès, de surcroît, à vos données personnelles? Ce ne sera rien d’autre qu’une privatisation de la mission publique de recouvrement. S’ensuivra une probable fusion de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée, ce qui pourrait mettre en péril la progressivité de l’impôt. Rappelons aux oublieux que les services de la Direction générale des finances publiques ont perdu plus de 30 000 emplois en dix ans ; d’autre sont déjà programmés. Et pendant ce temps-là? Toujours aucune annonce afin de lutter contre l’évasion fiscale, qui prive les comptes publics d’environ 80 milliards d’euros…
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 6 septembre 2018.]
Les grandes décisions régaliennes ne se prennent jamais à la légère. Surtout quand il s’agit de nos impôts, l’une des prérogatives sacrées de l’État républicain. Le psychodrame politique auquel nous avons assisté concernant le prélèvement à la source n’a rien d’anecdotique. Il est même essentiel et témoigne de l’ampleur du trou d’air qui frappe l’exécutif. L’affaire a donc été tranchée par le président. Fin de la cacophonie, peut-être. Fin des inquiétudes, sûrement pas. Car cette réforme à haut risque, qui s’inscrit parfaitement dans les canons de Macron bien qu’elle fût initiée par son prédécesseur, possède désormais une double particularité: elle est à la fois synonyme de dangers et de doutes. Dangers, dans ses logiques mêmes. Doutes, dans la tête des citoyens contribuables, dont on mesure mal les effets psychologiques.
«Modernisation» et «simplification» sont les maîtres mots des thuriféraires de ce big bang fiscal aux vices cachés. Contrairement aux affirmations gouvernementales, le prélèvement à la source n’apportera aucune efficacité supplémentaire quant au recouvrement de l’impôt sur le revenu, celui-ci étant aujourd’hui recouvré à hauteur de 99% par l’administration, dont près de 70% au moyen des prélèvements mensuels. Mais, il y a plus grave, car cela touche aux principes d’organisation de la société républicaine: c’est à l’État de lever l’impôt. Voulez-vous vraiment que votre employeur devienne votre percepteur, avec des risques conséquents de rétention ou de fraude et, ait accès, de surcroît, à vos données personnelles? Ce ne sera rien d’autre qu’une privatisation de la mission publique de recouvrement. S’ensuivra une probable fusion de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée, ce qui pourrait mettre en péril la progressivité de l’impôt. Rappelons aux oublieux que les services de la Direction générale des finances publiques ont perdu plus de 30 000 emplois en dix ans ; d’autre sont déjà programmés. Et pendant ce temps-là? Toujours aucune annonce afin de lutter contre l’évasion fiscale, qui prive les comptes publics d’environ 80 milliards d’euros…
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 6 septembre 2018.]