samedi 14 juillet 2018

Pas de Fête tricolore avant l’Enfer du Nord

Groenewengen, bis repetita.
Dans la huitième étape, entre Dreux et Amiens (181 km), victoire du Néerlandais Dylan Groenewengen (Lotto), déjà vainqueur la veille. Toujours pas de Français au palmarès. Le peloton n’a désormais que les pavés à l’esprit, les quinze secteurs qui se dresseront sur la route de Roubaix, dimanche.

Sur la route du Tour, envoyé spécial.
«Et au bout de l’ennui, un sprint»: voilà comment le chronicoeur titrait, hier, prêt à réitérer l’insolente formule à laquelle donna du crédit le porteur du maillot jaune en personne, le Belge Greg Van Avermaet. «C’était assez long, 230 kilomètres, on peut se demander si c’est bien nécessaire», constatait-il au bout d’une journée épuisante de désintérêt. Ce samedi 14 juillet, jour de fête nationale et veille d’un événement vécu en mondovision qui pourrait bien balayer toutes les contingences subalternes, l’étape entre Dreux et Amiens ne comptait que 180 bornes, soit cinquante de moins que celle entre Fougères et Chartres. Pas de vent, aucune difficulté majeure, hormis deux infimes côtes plantées dans cette remontée vers le Nord. Pas de quoi dérider le désert ou rehausser l’attrait sportif, quasiment nul. Le cyclisme a muté –définitivement?– dans l’ultra-professionnalisation où tout se compte et où plus rien, ou presque, ne se conte en mode onirique. Sentence implacable: vu les enjeux économiques du Tour d’ici-et-maintenant, et vu les invincibles armadas des équipes de sprinteurs, nous voilà contraints et forcés d’admettre que plus jamais certaines étapes n’échapperont à un finish groupé dévolu aux rois des braquets. Désolons-nous. Ou pas.

La première semaine s’achève (déjà!) et le bilan se résume d’une phrase sèche et désespérante: uniquement animés par les chutes et les incidents mécaniques de quelques leaders, les huit jours écoulés furent ennuyeux, alors que les profils bretons, par exemple, offraient bien des possibilités aux audacieux dont nous cherchons trace. Preuve, l’arrivée massive à Amiens, qui sombrera vite dans l’oubli elle aussi. Sauf pour le Néerlandais Dylan Groenewengen (Lotto), déjà victorieux à Chartres.

Signalons tout de même qu’il y eut une chute collective, qui occasionna une perte de temps (1’15’’) pour deux leaders, le Français Julian Alaphilippe et l’Irlandais Dan Martin, vainqueur à Mûr-de-Bretagne. Précisons que nous assistâmes à des déclassements (Greipel et Gaviria). Ajoutons également que nous eûmes nos échappés du jour, avant le regroupement programmé, juste à l’entrée d’Amiens: le Néerlandais Marco Minnaard (Wanty) et le Français Fabien Grellier (Direct Energie), vite abandonné dans leur tentative par Laurens Ten Dam (Sunweb), pourtant à l’origine de l’escapade. Le croyez-vous? Rappelé à l’ordre par son directeur sportif, les consignes de son équipe ne se discutèrent pas. Le grimpeur néerlandais, qui n’avait «officiellement» aucun intérêt à se découvrir sur un terrain plat, fut sommé de renoncer et de réintégrer le peloton. Il s’exécuta. Anecdote affligeante…

Comme le sont les performances des Français. 14 juillet ou non, toujours pas de victoire d’étape. Sur le papier, à la lecture brute des classements, ces derniers donnent l'impression de tourner autour. Pierre Latour et Julian Alaphilippe ont fini deuxième et quatrième à Mûr-de-Bretagne, alors que le second s'était classé cinquième la veille à Quimper. Arnaud Demare était troisième à La-Roche-sur-Yon et quatrième à Chartres. Christophe Laporte cinquième à Fontenay-le-Comte et Chartres. Mais l’analyse de près s’avère plus cruelle. Seuls Démare dimanche, avant d'être débordé par Gaviria et Sagan, et Latour jeudi, laissant furtivement l'impression qu'il pourrait rattraper Dan Martin avant de céder, ont donné l'impression véritable de pouvoir gagner. En vain.

A la vérité, et surtout par la force des choses, la France entière ne pense qu’à demain. Les suiveurs du Tour aussi. Avec un petit supplément d’âme néanmoins. Car avant la grande finale des Bleus (17 heures), le peloton n’a que les pavés à l’esprit, ceux qui se dresseront sur la route de Roubaix, dont nous pouvons espérer qu’ils nous offriront plus de spectacle et d’écarts que ce à quoi nous avons assisté jusque-là. Quinze secteurs (21,7 km) seront en effet au programme de la 9e étape, dimanche, entre Arras et Roubaix (156,5 km), à la veille de la première journée de repos. Les douze derniers reprendront une bonne partie du parcours de Paris-Roubaix. Même en évitant les secteurs les plus mauvais, tel le Carrefour de l'Arbre, le dosage reste le plus sévère depuis longtemps dans le Tour. A partir de Warlaing, à 70 kilomètres de l'arrivée, le final enchaînera les difficultés. Les derniers pavés, à Hem, seront situés à seulement 8 kilomètres de la ligne, installée à proximité du vélodrome où se juge l'arrivée de la «reine des classiques». La Grande Boucle, qui avait négligé les pavés durant des décennies, a utilisé cet élément attractif à fort potentiel de stress à trois reprises depuis le début de la décade. Les vainqueurs eurent pour noms Thor Hushovd en 2010, Lars Boom en 2014 (à Arenberg), puis Tony Martin en 2015 (à Cambrai).

Les aléas des pavés de l’Enfer du Nord ne se maîtrisent pas. Pour mémoire, un certain Christopher Froome n’oubliera jamais 2014. En toute logique, il aurait dû, cette année-là, retrouver les Champs-Élysées avec le maillot jaune, comme pour son premier triomphe, douze mois plus tôt. Mais ce fut l’abandon, brutal et inattendu. La faute à une succession de chutes. Éraflé, le tenant du titre s’était relevé en boitant. Avant de finir dans une voiture bien avant Arenberg, dossard arraché, laissant ses espoirs sur le bas-côté et ouvrant la voie de la victoire finale à l’Italien Vicenzo Nibali, dont il s’agit du seul succès dans la Grande Boucle. Sans cet incident de course imprévisible mais fréquent, Chris Froome afficherait déjà, assurément, cinq Tours à son palmarès. Et qui nous dit qu’il aurait osé se présenter au départ, cette année ?

Jean-Emmanuel Ducoin

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