Comment l’antiféminisme a laissé son empreinte dans la langue française...
Langue. La République, une et indivisible: vous connaissez la formule consacrée. Et la langue française: une et indivisible? La langue, notre langue, est une page d’histoire imprimée par le temps long et les vieilles idées. L’unité linguistique fut une sorte de combat jalonné d’âpres bagarres, remporté assez récemment par l’État central, royal puis républicain. Mille ans de pensée et d’expressions collectives qui ont façonné une manière de s’exprimer. Richelieu créa l’Académie française, en 1635, en partie pour donner un cadre à la «langue naturelle» et «spontanée». Souvenons-nous pourtant que, au déclenchement de la Première Guerre mondiale, il y a cent ans, «plus de 50% des habitants ne parlaient pas le français», nous rappelle Alain Rey, le célèbre linguiste et lexicologue dans un entretien donné au Monde, le 25 novembre. Une interview si foisonnante qu’elle a comme «décoincé» le bloc-noteur. La question de notre langue paraît si absurdement sacrée –n’est-elle pas la «plus belle du monde»?– qu’il s’avère en effet difficile de s’attaquer à l’un des sujets les plus polémiques et complexes du moment: devons-nous, oui ou non, la féminiser, jusqu’où, et comment? Alain Rey, qui a longtemps présidé aux destinées du dictionnaire le Robert, auteur lui-même d’ouvrages à la fois érudits et vulgarisateurs, ne prend pas de gants: «L’antiféminisme a laissé son empreinte dans le français.» Inutile de nier l’évidence. La bicatégorisation féminin-masculin, telle qu’elle fonctionne en français, subalternise le féminin. Alain Rey analyse ainsi: «En France, comme dans les autres pays européens, une idéologie antiféministe imprègne la littérature du Moyen Âge et reste très sensible jusqu’au XIXe siècle: l’homme est partout. Aujourd’hui encore, elle porte les traces des jugements de valeur du passé, ce qui a engendré des problèmes de syntaxe, des problèmes de vocabulaire et des problèmes d’accord.» Une situation aggravée, dans la mesure où le français ne dispose pas du genre neutre: l’accord au masculin s’impose. Et s’impose donc avec lui un antiféminisme de base. Là non plus, pas de contestation possible. Bien que cela nous ait peu gênés dans notre apprentissage, comment justifier le fait que 49 femmes et un homme deviennent «ils» au pluriel? L’accord dit «de proximité» serait une solution acceptable. Alain Rey cite pour l’étayer le fameux vers de Racine, dans Athalie: «Ces trois jours et ces trois nuits entières.» Pourrions-nous ainsi écrire: «Les hommes et les femmes sont belles», même s’il s’agit d’humains et non plus de nature ou de choses? Pour l’instant, le féminin est littéralement occulté par ce masculin prétendument «genre non marqué», qui l’emporte et qui seul a le droit d’avoir des droits. Exemple: le masculin des «droits de l’homme».
jeudi 30 novembre 2017
mardi 28 novembre 2017
L’homme macronien
Devant une assistance de jeunes africains, à Ouagadougou, Macron espérait faire oublier l’impair commis par Sarkozy en 2007. («L’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire»). Mais la condescendance, hélas, était
aussi au rendez-vous…
Pour sa première «tournée africaine», Emmanuel Macron n’a pas été accueilli n’importe comment au Burkina Faso. Atmosphère pesante, climat tendu, écoles fermées durant deux jours à Ouagadougou. Avant son «discours à la jeunesse», tandis que des manifestations se déroulaient au cri d’«À bas l’exploitation de l’Afrique par l’Occident», deux symboles de la Françafrique étaient visés, par une grenade, lancée contre des soldats français, puis par un caillassage d’un minicar, dans lequel étaient présents des chefs d’entreprise. Les spectres de la Françafrique des héritiers des colons blancs ne sont jamais bien loin… Devant une assistance de jeunes, Macron espérait faire oublier l’impair commis par Sarkozy en 2007 («L’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire»). Le chef d’État a bien sûr reconnu que «les crimes de la colonisation européenne» étaient «incontestables». Il s’est même déclaré favorable à la déclassification des archives sur l’assassinat de Thomas Sankara. Mais la condescendance, hélas, était aussi au rendez-vous…
Lors de son «grand oral», le président a habilement prétendu qu’«il n’y a plus de politique africaine de la France» tout en parlant du «lien indéfectible» en proposant «un nouveau partenariat» et en défendant des perspectives revisitées en faveur des entreprises françaises. En somme, il convient de lire entre les mots pour comprendre que ce énième discours sur les «nouvelles» relations franco-africaines était aussi une manière d’accréditer des pans entiers de la politique africaine de la France… Emmanuel Macron avait l’opportunité de poser des actes concrets, il n’a posé que des mots. Ces derniers ne soigneront pas les maux de la Françafrique, qui avance désormais masquée. Il a pris un ton professoral pour expliquer qu’il n’était pas là pour donner des leçons, passant son temps à en donner à cette jeunesse africaine venue l’écouter, une jeunesse qui, précisément, aspire à un autre mode de développement et refuse la double peine: la misère chez eux ou les périples terrifiants de la migration contrainte. Les faits sont têtus. L’aide de la France aux pays pauvres a plongé, de 0,50% (du RNB) en 2010 à 0,38% aujourd’hui. L’homme macronien n’est pas entré dans l’histoire africaine.
Pour sa première «tournée africaine», Emmanuel Macron n’a pas été accueilli n’importe comment au Burkina Faso. Atmosphère pesante, climat tendu, écoles fermées durant deux jours à Ouagadougou. Avant son «discours à la jeunesse», tandis que des manifestations se déroulaient au cri d’«À bas l’exploitation de l’Afrique par l’Occident», deux symboles de la Françafrique étaient visés, par une grenade, lancée contre des soldats français, puis par un caillassage d’un minicar, dans lequel étaient présents des chefs d’entreprise. Les spectres de la Françafrique des héritiers des colons blancs ne sont jamais bien loin… Devant une assistance de jeunes, Macron espérait faire oublier l’impair commis par Sarkozy en 2007 («L’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire»). Le chef d’État a bien sûr reconnu que «les crimes de la colonisation européenne» étaient «incontestables». Il s’est même déclaré favorable à la déclassification des archives sur l’assassinat de Thomas Sankara. Mais la condescendance, hélas, était aussi au rendez-vous…
Lors de son «grand oral», le président a habilement prétendu qu’«il n’y a plus de politique africaine de la France» tout en parlant du «lien indéfectible» en proposant «un nouveau partenariat» et en défendant des perspectives revisitées en faveur des entreprises françaises. En somme, il convient de lire entre les mots pour comprendre que ce énième discours sur les «nouvelles» relations franco-africaines était aussi une manière d’accréditer des pans entiers de la politique africaine de la France… Emmanuel Macron avait l’opportunité de poser des actes concrets, il n’a posé que des mots. Ces derniers ne soigneront pas les maux de la Françafrique, qui avance désormais masquée. Il a pris un ton professoral pour expliquer qu’il n’était pas là pour donner des leçons, passant son temps à en donner à cette jeunesse africaine venue l’écouter, une jeunesse qui, précisément, aspire à un autre mode de développement et refuse la double peine: la misère chez eux ou les périples terrifiants de la migration contrainte. Les faits sont têtus. L’aide de la France aux pays pauvres a plongé, de 0,50% (du RNB) en 2010 à 0,38% aujourd’hui. L’homme macronien n’est pas entré dans l’histoire africaine.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 29 novembre 2017.]
jeudi 23 novembre 2017
Connerie(s)
Interdire la clope dans le cinéma? Un bon havane et taillons la route!
« Reset ». Et si nous nous intéressions à ce moment délirant qui traverse la société, la nôtre, où la distinction entre l’œuvre et l’auteur s’avère impossible, où il devient improbable d’entrevoir la différence entre la réalité et la représentation, entre le réel et l’imaginaire, et où des brigades moralisantes vont bientôt se transformer en office de «comité de censure» pour tout et n’importe quoi. Ne lisons plus Céline et Simenon (et bien d’autres). Ne regardons plus de films de Polanski ou d’Hitchcock (et tant d’autres). N’écoutons plus Jim Morrison ni Gainsbourg (et mille autres). Par peur de passer pour un pédophile ou un fasciste, un déviationniste ou un transgresseur hideux, évitons toute création artistique venant de personnages un peu fous, drogués et/ou très alcooliques, parfois déviants sur le plan éthique et politique. Aseptisons-nous du crâne au pied, jusque dans nos moindres pensées. Changeons notre disque dur, oublions notre savoir livresque et notre culture ambivalente, brûlons nos neurones et appuyons sur «Reset» et «Echap» une bonne fois pour toutes, comme sur les réseaux sociaux, quand il suffit d’effacer un «ami» de sa liste, d’enlever un tweet ou un post et de passer à autre chose en pratiquant l’amnésie à tous les temps. Bienvenues, blanches colombes. Le monde nouveau vous tend les bras. Souriez, vous êtes filmés. Vous voilà beaux et présentables aux plus offrants. Et si vous avez des doutes, taisez-vous, esprits faibles! Certains réfléchissent à votre place. Ils disposent d’un «temps de cerveau disponible», hégémonique et assez inépuisable.
Interdire. On nous a menti. Dieu n’est pas un fumeur de havanes. Et Sganarelle n’a jamais dit: «Qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre.» Dom Juan a-t-il seulement existé dans la tête de Molière? La bonne parole divine s’est donc exprimée: «Je ne comprends pas l’importance de la cigarette dans le cinéma français», a déclaré Agnès Buzyn, alias ministre de la Santé (à ne pas confondre avec la prison du même nom). Ainsi, nous serions tous conditionnés, incités «culturellement» à fumer. Imbéciles que nous sommes!
« Reset ». Et si nous nous intéressions à ce moment délirant qui traverse la société, la nôtre, où la distinction entre l’œuvre et l’auteur s’avère impossible, où il devient improbable d’entrevoir la différence entre la réalité et la représentation, entre le réel et l’imaginaire, et où des brigades moralisantes vont bientôt se transformer en office de «comité de censure» pour tout et n’importe quoi. Ne lisons plus Céline et Simenon (et bien d’autres). Ne regardons plus de films de Polanski ou d’Hitchcock (et tant d’autres). N’écoutons plus Jim Morrison ni Gainsbourg (et mille autres). Par peur de passer pour un pédophile ou un fasciste, un déviationniste ou un transgresseur hideux, évitons toute création artistique venant de personnages un peu fous, drogués et/ou très alcooliques, parfois déviants sur le plan éthique et politique. Aseptisons-nous du crâne au pied, jusque dans nos moindres pensées. Changeons notre disque dur, oublions notre savoir livresque et notre culture ambivalente, brûlons nos neurones et appuyons sur «Reset» et «Echap» une bonne fois pour toutes, comme sur les réseaux sociaux, quand il suffit d’effacer un «ami» de sa liste, d’enlever un tweet ou un post et de passer à autre chose en pratiquant l’amnésie à tous les temps. Bienvenues, blanches colombes. Le monde nouveau vous tend les bras. Souriez, vous êtes filmés. Vous voilà beaux et présentables aux plus offrants. Et si vous avez des doutes, taisez-vous, esprits faibles! Certains réfléchissent à votre place. Ils disposent d’un «temps de cerveau disponible», hégémonique et assez inépuisable.
Interdire. On nous a menti. Dieu n’est pas un fumeur de havanes. Et Sganarelle n’a jamais dit: «Qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre.» Dom Juan a-t-il seulement existé dans la tête de Molière? La bonne parole divine s’est donc exprimée: «Je ne comprends pas l’importance de la cigarette dans le cinéma français», a déclaré Agnès Buzyn, alias ministre de la Santé (à ne pas confondre avec la prison du même nom). Ainsi, nous serions tous conditionnés, incités «culturellement» à fumer. Imbéciles que nous sommes!
dimanche 19 novembre 2017
Verticalité absolue
A En marche!, Emmanuel Macron prend toutes les décisions.
Non seulement tout le monde le sait, mais chacun, à l’intérieur de la
mouvance ou à sa périphérie, maintient son petit doigt sur la couture du
pantalon.
La radicalité de la méthode a pour vocation de s’imposer à tous: «l’État, c’est moi», «l’exécutif, c’est moi», «le patron de la start-up France, c’est moi», «le parti, c’est moi»… pour un peu, on croirait: «Les Français, c’est moi.» Après quelques crises internes, le mouvement LREM du président s’est donc doté d’un «chef» un peu fantoche en la personne de Christophe Castaner, par ailleurs déjà secrétaire d’État. Le scénario, écrit à l’avance, n’a qu’un mérite: à En marche!, Emmanuel Macron prend toutes les décisions. Non seulement tout le monde le sait, mais chacun, à l’intérieur de la mouvance ou à sa périphérie, maintient son petit doigt sur la couture du pantalon. Soit on est content, soit on sourit faussement. Une seule règle: garde à vous! Avant son élection, Macron prétendait rénover la vie politique du «vieux monde». Le réveil s’avère brutal pour certains de ses affidés. Notons que l’embarras des conseillers d’Édouard Philippe à Matignon –qui expriment en off un bout de la parole du premier ministre– a quelque chose d’instructif. L’un d’eux nous déclare: «Il va quand même un peu loin.» Vous aurez compris que le «il» désigne le chef de l’État…
Nommons les choses: le pouvoir de la verticalité absolue en monarchie républicaine. Ne nous y trompons pas. Chez Macron, cette option assumée de contrôle total n’a rien d’une façade stratégique. C’est un projet politique libéral et global voulant irriguer tous les domaines de la société et dont nous connaissons désormais l’ampleur: du Code du travail à l’assurance-chômage, en passant par la protection sociale, le Smic, etc. L’hôte de l’Élysée tente en effet d’opérer, dans les esprits, une sorte de renversement institutionnel. Souvenons-nous. Il y a un an encore, tout semblait en place, ou presque, pour que les citoyens puissent enfin renverser la Ve République et son caractère absolutiste. Voilà que ce cadre-là nous revient en pleine face, de la pire des manières. Macron veut démontrer, jusqu’à l’absurde, qu’il peut réactiver un système moribond inventé par un général d’armée. Pari risqué. Car les Français veulent-ils vraiment de l’hégémonie d’un homme incarnant le pouvoir personnel à ce point, même drapé des mots illusoires du «nouveau monde»?
La radicalité de la méthode a pour vocation de s’imposer à tous: «l’État, c’est moi», «l’exécutif, c’est moi», «le patron de la start-up France, c’est moi», «le parti, c’est moi»… pour un peu, on croirait: «Les Français, c’est moi.» Après quelques crises internes, le mouvement LREM du président s’est donc doté d’un «chef» un peu fantoche en la personne de Christophe Castaner, par ailleurs déjà secrétaire d’État. Le scénario, écrit à l’avance, n’a qu’un mérite: à En marche!, Emmanuel Macron prend toutes les décisions. Non seulement tout le monde le sait, mais chacun, à l’intérieur de la mouvance ou à sa périphérie, maintient son petit doigt sur la couture du pantalon. Soit on est content, soit on sourit faussement. Une seule règle: garde à vous! Avant son élection, Macron prétendait rénover la vie politique du «vieux monde». Le réveil s’avère brutal pour certains de ses affidés. Notons que l’embarras des conseillers d’Édouard Philippe à Matignon –qui expriment en off un bout de la parole du premier ministre– a quelque chose d’instructif. L’un d’eux nous déclare: «Il va quand même un peu loin.» Vous aurez compris que le «il» désigne le chef de l’État…
Nommons les choses: le pouvoir de la verticalité absolue en monarchie républicaine. Ne nous y trompons pas. Chez Macron, cette option assumée de contrôle total n’a rien d’une façade stratégique. C’est un projet politique libéral et global voulant irriguer tous les domaines de la société et dont nous connaissons désormais l’ampleur: du Code du travail à l’assurance-chômage, en passant par la protection sociale, le Smic, etc. L’hôte de l’Élysée tente en effet d’opérer, dans les esprits, une sorte de renversement institutionnel. Souvenons-nous. Il y a un an encore, tout semblait en place, ou presque, pour que les citoyens puissent enfin renverser la Ve République et son caractère absolutiste. Voilà que ce cadre-là nous revient en pleine face, de la pire des manières. Macron veut démontrer, jusqu’à l’absurde, qu’il peut réactiver un système moribond inventé par un général d’armée. Pari risqué. Car les Français veulent-ils vraiment de l’hégémonie d’un homme incarnant le pouvoir personnel à ce point, même drapé des mots illusoires du «nouveau monde»?
[EDITORIAL publié dans l'Humanité 20 novembre 2017.]
jeudi 16 novembre 2017
Quartier(s)
Macron aux banlieues: «Aide-toi, le ciel t’aidera!»
Banlieues. «Aide-toi, le ciel t’aidera!» Cette formule résume assez bien le message délivré par Emmanuel Macron aux quartiers populaires. Notre colère froide suite à son discours fleuve prononcé à Roubaix ne s’atténuera pas de sitôt. Beaucoup de paroles, de la communication huilée afin de satisfaire les chaînes d’info, un petit côté «charité» pour toucher le «ventre mou» de la population et au final, une impression d’immense gâchis que ne rehausse en rien la «philosophie» macronienne en direction des plus faibles. Ah! bien sûr, notons par honnêteté intellectuelle que le président n’a pas joué les sous-Valls, puisqu’il a dénoncé les harangues qui stigmatisent: «Je ne confondrai jamais les quelques milliers de radicalisés et les millions d’habitants des quartiers.» Nous ne saurions le taxer d’insincérité sur ce plan. Selon lui, «la République a démissionné». Phrase forte, qui n’est pas sans rappeler quelques-unes des nôtres. Par les temps qui courent, ne sous-estimons pas la tâche ardue consistant à braver l’opinion dominante conditionnée par les éléments de langage des éditocrates. Dont acte au chef de l’État. Mais après? Cette visite en «banlieue» n’était en rien pour les «marchiens» le signe d’un retour sur terre. Les actes et les «preuves d’amour» ne suivent pas. Sauf à considérer que son discours méritocratique de réussite individuelle vaut tous les engagements… Avec Nicoléon, ce n’était plus la «culture pour tous» mais la «culture pour chacun». Avec Macron, ce n’est plus la «réussite pour tous» mais la «réussite de chacun». Nuance fondamentale. Changement de paradigme. Pour le président, la politique de la ville (dépourvue désormais de ministère, ceci expliquant cela) passe moins par la mobilisation collective des actions politiques, économiques et sociales que par la réussite individuelle. Le propos sous-jacent est délirant: «Si tu n’y arrives pas, c’est de ta faute.» Certains y voient une cohérence: après avoir vanté les mérites des premiers de cordée de la finance, Macron célèbre les premiers de cordée… des quartiers.
Banlieues. «Aide-toi, le ciel t’aidera!» Cette formule résume assez bien le message délivré par Emmanuel Macron aux quartiers populaires. Notre colère froide suite à son discours fleuve prononcé à Roubaix ne s’atténuera pas de sitôt. Beaucoup de paroles, de la communication huilée afin de satisfaire les chaînes d’info, un petit côté «charité» pour toucher le «ventre mou» de la population et au final, une impression d’immense gâchis que ne rehausse en rien la «philosophie» macronienne en direction des plus faibles. Ah! bien sûr, notons par honnêteté intellectuelle que le président n’a pas joué les sous-Valls, puisqu’il a dénoncé les harangues qui stigmatisent: «Je ne confondrai jamais les quelques milliers de radicalisés et les millions d’habitants des quartiers.» Nous ne saurions le taxer d’insincérité sur ce plan. Selon lui, «la République a démissionné». Phrase forte, qui n’est pas sans rappeler quelques-unes des nôtres. Par les temps qui courent, ne sous-estimons pas la tâche ardue consistant à braver l’opinion dominante conditionnée par les éléments de langage des éditocrates. Dont acte au chef de l’État. Mais après? Cette visite en «banlieue» n’était en rien pour les «marchiens» le signe d’un retour sur terre. Les actes et les «preuves d’amour» ne suivent pas. Sauf à considérer que son discours méritocratique de réussite individuelle vaut tous les engagements… Avec Nicoléon, ce n’était plus la «culture pour tous» mais la «culture pour chacun». Avec Macron, ce n’est plus la «réussite pour tous» mais la «réussite de chacun». Nuance fondamentale. Changement de paradigme. Pour le président, la politique de la ville (dépourvue désormais de ministère, ceci expliquant cela) passe moins par la mobilisation collective des actions politiques, économiques et sociales que par la réussite individuelle. Le propos sous-jacent est délirant: «Si tu n’y arrives pas, c’est de ta faute.» Certains y voient une cohérence: après avoir vanté les mérites des premiers de cordée de la finance, Macron célèbre les premiers de cordée… des quartiers.
lundi 13 novembre 2017
Le fondé de pouvoir
Une définition s’impose d’elle-même
concernant Macron: la fameuse boussole «de gauche et de droite» n’était qu’un artefact
pour ne pas dire «de droite et de droite»...
Six mois jour pour jour –déjà!– qu’Emmanuel Macron a pris ses fonctions. Et une impression de rouleau compresseur que rien n’atténue dans la réalité des faits, des paroles et surtout des décisions. Comme si le retournement du «cercle de la raison» avait gagné bien des esprits face à ce chef de l’État que certains – par malice et/ou intérêt – ne parviennent toujours pas à «identifier» sur l’échiquier politique, alors qu’une définition, vérifiable celle-là, s’impose d’elle-même: la fameuse boussole «de gauche et de droite» n’était qu’un artefact pour ne pas dire «de droite et de droite». Macron parlait de gauche comme on parle du nez pour conquérir la place; depuis, il tranche à droite afin de satisfaire ceux pour lesquels il a été élu. Venu pour soi-disant apprivoiser la Bête, l’apprenti-dompteur a filé bras dessus bras dessous avec elle. Et même pas par la porte de service. Non, il avance droit devant par le grand escalier de l’Élysée!
Tout le monde devrait maintenant le savoir. Macron est le «président des riches», mais il assume aussi pleinement d’être celui de toute une classe qui ne pense qu’à la «loi du marché», vous savez, ce nouveau vocable pour ne pas prononcer le mot «capitalisme». Ce libéralisme sans tabou et en action dans les tous les domaines, la droite et le Medef réunis en avaient rêvé. Macron tente de le mettre en œuvre. Les puissants lui ont délivré une procuration comme à un vulgaire fondé de pouvoir, et il frappe vite et fort pour rattraper le temps perdu, en quelque sorte, et mener des contre-réformes impopulaires que ses prédécesseurs n’avaient pas réussi à imposer. Une stratégie du choc. Tout doit y passer. Code du travail, assurance-chômage, protection sociale, Smic, etc. Et tout cela au nom d’une inspiration libérale vieille pourtant d’une génération et dont la mise en œuvre n’a servi à rien d’autre qu’à la concentration des richesses, à l’accroissement des inégalités et, ne l’oublions jamais, à l’échec économique, partout! Cette forme d’inconscience politique peut-elle durer? Dans un monde prétendument dominé par un Donald Trump, il est facile d’apparaître brillant ou de se déclarer «progressiste». Même les chimères scintillent parfois. Et il arrive aux pires libéraux de savoir conjuguer le verbe «progresser» à tous les temps… ou presque.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 14 novembre 2017.]
Gattaz a trouvé son champion... |
Tout le monde devrait maintenant le savoir. Macron est le «président des riches», mais il assume aussi pleinement d’être celui de toute une classe qui ne pense qu’à la «loi du marché», vous savez, ce nouveau vocable pour ne pas prononcer le mot «capitalisme». Ce libéralisme sans tabou et en action dans les tous les domaines, la droite et le Medef réunis en avaient rêvé. Macron tente de le mettre en œuvre. Les puissants lui ont délivré une procuration comme à un vulgaire fondé de pouvoir, et il frappe vite et fort pour rattraper le temps perdu, en quelque sorte, et mener des contre-réformes impopulaires que ses prédécesseurs n’avaient pas réussi à imposer. Une stratégie du choc. Tout doit y passer. Code du travail, assurance-chômage, protection sociale, Smic, etc. Et tout cela au nom d’une inspiration libérale vieille pourtant d’une génération et dont la mise en œuvre n’a servi à rien d’autre qu’à la concentration des richesses, à l’accroissement des inégalités et, ne l’oublions jamais, à l’échec économique, partout! Cette forme d’inconscience politique peut-elle durer? Dans un monde prétendument dominé par un Donald Trump, il est facile d’apparaître brillant ou de se déclarer «progressiste». Même les chimères scintillent parfois. Et il arrive aux pires libéraux de savoir conjuguer le verbe «progresser» à tous les temps… ou presque.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 14 novembre 2017.]
vendredi 10 novembre 2017
Salaud(s)
Le capitalisme ? Optimisation et évasion
fiscales…
Nausée. Ainsi donc, depuis le début des années 1980, à l’abri des regards indiscrets, une puissante industrie mondiale de malins et de coquins de la finance globalisée organise ses petites tambouilles aux îles Caïmans, au Luxembourg, à Hongkong et ailleurs, où des «institutions» financières et des groupements d’avocats – des véritables cabinets noirs sans foi ni loi – offrent leurs services à des particuliers fortunés et aux multinationales capables de tout pour «optimiser» leurs profits… Dix-huit mois après les «Panama Papers», une nouvelle enquête d’ampleur portant sur environ sept millions de documents issus d’une fuite massive de données publiés par plusieurs journaux, porte un nouveau coup de projecteur sur les trous obscurs de la finance mondiale et révèle comment, grâce à des schémas sophistiqués, des milliers de milliards de dollars échappent toujours aux fiscalités des Etats et aux autorités dite «de régulation». Chiffres à l’appui. Ceux-ci donnent le vertige. Selon des calculs fiables et recoupés par Le Monde, l’évasion fiscale des entreprises et des grandes fortunes coûterait 350 milliards d’euros de pertes par an aux Etats de la planète, dont 120 milliards pour la seule Union européenne… Selon ces données, qui ont le mérite d’exister pour la première fois «officiellement», le manque à gagner pour la France atteindrait 20 milliards d’euros par an. Et pourtant, nous savons que ces révélations ne constituent qu’un bout de l’iceberg, d’autant que, contrairement aux «Panama Papers», cette nouvelle enquête concerne moins le blanchiment d’argent sale (trafics d’armes, de drogue, etc.) que des schémas légaux montés par des bataillons d’experts en optimisation fiscale. L’argent, ici, a le plus souvent été soustrait à l’impôt de façon légale ou aux frontières de la légalité, grâce aux failles des systèmes fiscaux dont les rouages donnent la nausée. Ils osent tout. Non seulement ils se goinfrent cyniquement sur le mode des pires sociétés secrètes, mais ils trichent et mentent. Leur quotidien s’appelle manipulation. Et leur crime se définit aisément: en réduisant les recettes fiscales des nations, ils accroissent les inégalités et alimentent l’instabilité financière mondiale. Le capital règne en maître. Lisez plutôt: à l’échelle internationale, plus de 40% des profits réalisés par les multinationales sont délocalisés artificiellement dans les paradis fiscaux, tandis que près de 10% de la richesse financière des particuliers s’y dissimulent. Disons-le sans façon: ils devraient être passibles d’un tribunal pénal international !
Nausée. Ainsi donc, depuis le début des années 1980, à l’abri des regards indiscrets, une puissante industrie mondiale de malins et de coquins de la finance globalisée organise ses petites tambouilles aux îles Caïmans, au Luxembourg, à Hongkong et ailleurs, où des «institutions» financières et des groupements d’avocats – des véritables cabinets noirs sans foi ni loi – offrent leurs services à des particuliers fortunés et aux multinationales capables de tout pour «optimiser» leurs profits… Dix-huit mois après les «Panama Papers», une nouvelle enquête d’ampleur portant sur environ sept millions de documents issus d’une fuite massive de données publiés par plusieurs journaux, porte un nouveau coup de projecteur sur les trous obscurs de la finance mondiale et révèle comment, grâce à des schémas sophistiqués, des milliers de milliards de dollars échappent toujours aux fiscalités des Etats et aux autorités dite «de régulation». Chiffres à l’appui. Ceux-ci donnent le vertige. Selon des calculs fiables et recoupés par Le Monde, l’évasion fiscale des entreprises et des grandes fortunes coûterait 350 milliards d’euros de pertes par an aux Etats de la planète, dont 120 milliards pour la seule Union européenne… Selon ces données, qui ont le mérite d’exister pour la première fois «officiellement», le manque à gagner pour la France atteindrait 20 milliards d’euros par an. Et pourtant, nous savons que ces révélations ne constituent qu’un bout de l’iceberg, d’autant que, contrairement aux «Panama Papers», cette nouvelle enquête concerne moins le blanchiment d’argent sale (trafics d’armes, de drogue, etc.) que des schémas légaux montés par des bataillons d’experts en optimisation fiscale. L’argent, ici, a le plus souvent été soustrait à l’impôt de façon légale ou aux frontières de la légalité, grâce aux failles des systèmes fiscaux dont les rouages donnent la nausée. Ils osent tout. Non seulement ils se goinfrent cyniquement sur le mode des pires sociétés secrètes, mais ils trichent et mentent. Leur quotidien s’appelle manipulation. Et leur crime se définit aisément: en réduisant les recettes fiscales des nations, ils accroissent les inégalités et alimentent l’instabilité financière mondiale. Le capital règne en maître. Lisez plutôt: à l’échelle internationale, plus de 40% des profits réalisés par les multinationales sont délocalisés artificiellement dans les paradis fiscaux, tandis que près de 10% de la richesse financière des particuliers s’y dissimulent. Disons-le sans façon: ils devraient être passibles d’un tribunal pénal international !
vendredi 3 novembre 2017
Mâle(s)-élevé(s)
«Libéralisme sexuel» et «libéralisme économique», main dans la main?
«Jouir.» Ainsi donc, chacun y va de son étonnement plus ou moins avoué. À commencer par les hommes eux-mêmes – écoutez vos entourages réciproques –, qui se connaissent décidément mal. Beaucoup – pour ne pas dire une ultramajorité d’entre eux – disent ne pas en revenir des chiffres qui, jour après jour, se publient dans les journaux concernant le harcèlement sexuel et plus largement les violences faites aux femmes. Au travail, dans la rue, surtout dans le cercle familial ou amical. Partout, en somme. Le sondage de référence le plus récent, réalisé par Odoxa, montre que 53% des femmes interrogées affirment en effet avoir été victimes de harcèlement ou d’agressions sexuelles, sachant que, pour les moins de 35 ans, la proportion s’élève à 63%. Des chiffres terrifiants : nous parlons de la France! La parole se libère enfin et, dans le flot de cette libération sans précédent –même en préservant une distance critique et d’analyse requise–, nous constatons, atterrés, l’ampleur de l’hypocrisie profondément ancrée dans les mentalités hexagonales. Chaque signe d’ignorance feinte, mieux que des démonstrations ou des «preuves», acte le non-dit généralisé, le retard culturel et politique dont nous souffrons collectivement, même si la «tolérance sociale» paraît diminuer à l’encontre de ces agissements délictueux, comme en témoignent les évolutions de traitement des «affaires» successives (Polanski, Strauss-Kahn, Baupin, Weinstein…). Les «porcs» que dénoncent les femmes, ce sont leurs maris, leurs frères, leurs fils, leurs amis, leurs collègues, leurs supérieurs hiérarchiques, au point que nous puissions douter qu’une seule femme n’ait jamais subi les assauts – quelle qu’en soit la forme – de prédateurs. Et s’il existe forcément des prédatrices qui usent parfois de leur position dominante, au moins un trait commun les relie dans leur volonté de consommer à tout prix: «jouir sans entrave», comme on dirait «consommer sans entrave». La société étant ce qu’elle est devenue, beaucoup ont écouté au pied de la lettre l’injonction paradoxale des soixante-huitards. Et pour cause.
mercredi 1 novembre 2017
La Sécu en danger !
Ambroise Croizat. |
Une question mérite d’être posée assez brutalement: les Français ont-ils vraiment conscience de ce qui vient de se passer à l’Assemblée nationale? Avec l’adoption en première lecture du budget de la Sécurité sociale, savent-ils ce qui les attend et ce qui, à terme, pourrait jeter à bas la protection sociale à la française, dont les fondements universels plongent loin leurs origines dans l’histoire des luttes populaires nationales? Ont-ils la moindre idée de ce qu’ils risquent de perdre en se laissant déposséder de ce formidable projet de société, qui, selon l’ouvrier communiste devenu ministre Ambroise Croizat, devait «mettre fin à l’obsession de la misère» et voulait que «chacun cotise selon ses moyens et reçoive selon ses besoins»? Pour parvenir à anéantir ce conquis de civilisation jalousé dans le monde, Macron et son gouvernement viennent d’enfoncer l’un des fondements essentiels de notre solidarité: les cotisations sociales. Depuis soixante-dix ans, un continuum de plans de casse n’a cessé de mettre à mal cette pierre angulaire de notre pacte social, qui s’adosse à un principe général consistant à ce que les prestations de Sécurité sociale bénéficient à toutes et tous, sans distinction de revenus, puisque ses recettes sont précisément assises sur des cotisations calculées sur les revenus.
Le rêve du patronat se transforme en arme gouvernementale! N’écoutez pas les discours dominants. Supprimer les cotisations sociales, ce serait exonérer le patronat de l’augmentation des salaires – dont la cotisation est partie intégrante – et ainsi tarir la source permettant d’assurer en commun la protection sociale, qui n’est ni un coût ni une dépense, mais une production de santé. D’autant que la destination de cette «économie» patronale ne servira qu’à nourrir les actionnaires. À cette atteinte aux salaires s’ajoute une double peine, terrible elle aussi : la hausse de la CSG, qui va alourdir la feuille d’impôt en fiscalisant la protection sociale. Par la fin du mécanisme de solidarité, la mort de la cotisation sociale signifierait celle de la Sécu, ni plus ni moins. Une coquille vide livrée aux requins des assurances privées. La fin de l’égalité et du droit de vivre dignement.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 2 novembre 2017.]