jeudi 14 septembre 2017

Attraction(s)

Que s’est-il passé pour que notre pays, plutôt ses «élites», choisisse de s’épanouir dans cette immense bauge dont on ne sait plus très bien jusqu’où elle précipitera la société française? 

Buée. Les astronomes l’affirment. Il existe au moins deux types de trous noirs : les «stellaires», qui se forment par l’effondrement sur elles-mêmes d’étoiles en fin de vie, et les «supermassifs», des espèces d’ogres à l’origine incertaine qui se nichent au cœur des grosses galaxies. Dans les deux cas, ces objets sont si denses que rien, pas même la lumière, ne parvient à échapper à leur pouvoir d’attraction. L’imagination humaine, rehaussée par le discernement des scientifiques toujours sur le qui-vive, prend parfois les teintes lassantes du temps qui passe. Dans la réalité non augmentée, autrement dit ici-et-maintenant, il ne semble pas si aisé, finalement, de rester à l’écoute de tous ces événements que beaucoup ignorent, par paresse ou distraction. L’air que nous respirons laisse assez peu filtrer les lumières de cette longue et fascinante chaîne de la vie, quand peu de regards prennent leur source dans la sincérité du cœur et de la raison: des trous noirs! Que s’est-il passé pour que notre pays, plutôt ses «élites», choisisse de s’épanouir dans cette immense bauge dont on ne sait plus très bien jusqu’où elle précipitera la société française? L’ère imposée par Mac Macron (façon Nouveau Monde) n’existe déjà plus que comme une simple image. Une sorte de buée de passage. Un monde étrange si vite dissolu qu’il a gommé en lui tout espoir de dignité. Sachant que l’image (celle de la fameuse «révolution informationnelle») n’est qu’un infime bout du réel, voire un mensonge, nous comprenons mieux l’éphémère succès du «new boy», sorti comme par magie de la boîte à spectacles d’une haute vulgarité libérale (pléonasme). Se moquer des plus faibles, presque chaque jour et en bande, du haut de leur classe supérieure méprisante (re-pléonasme), jeter dans le fumier les «riens», les «fainéants», devient quasiment un exercice salué par la critique. Froid dans le dos. Nous observons cette fange. Nous souffrons. Le peuple morfle.


Fête. Sans vouloir en rajouter, c’est un peu comme si Mac Macron incarnait une sorte de «victoire culturelle», dans le pire sens de l’expression. Tant d’années et de décennies de matraquage idéologique. Souvenons-nous toujours de nos lectures de jeunesse. Et, par-delà les âges, tendons une main amicale à Aldous Huxley, l’auteur du Meilleur des mondes, à qui l’on prête l’idée suivante: «Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter.» Le vieux rêve de la grande bourgeoisie – réserver l’accès au savoir à sa propre caste – est ainsi devenu le totem de la nouvelle aristocratie financière. Voilà une évidence dont il est urgent de se méfier. Quand nous parlons de «démocratie», de «mondialisation», de «néolibéralisme» et même de «science», n’oublions jamais que les habits neufs de l’aliénation empruntent souvent aux archaïsmes de domination. Regardez comment le fossé se creuse entre le peuple et l’information, anesthésiée de tout contenu à caractère subversif, sauf pour promotionner les agents de la réaction, qui, au nom l’anti-«bien-pensance», se réclament précisément de la subversion alors qu’ils ne sont que les valets de l’ordre établi. Ils ne flattent que l’émotionnel, l’instinctif, cherchent à endormir la lucidité (c’est bon socialement) et tentent de ridiculiser ce qui éveille l’esprit… Ces fossoyeurs de l’histoire ne déambuleront pas dans les allées de la Fête de l’Humanité. Pourtant, nous parlerons beaucoup d’eux. Avec aux lèvres l’espoir et le sens de l’avenir, autant de mots qu’ils ne partagent pas. Preuve qu’ils n’ont pas gagné la partie, loin de là!


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 15 septembre 2017.]

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