samedi 22 juillet 2017

Froome entre dans l’Histoire, Bardet frôle la correctionnelle

Dans la dix-neuvième étape, un contre-la-montre dans les rues de Marseille, le Britannique a assuré son quatrième succès dans le Tour. Rigoberto Uran a repris la deuxième place à Romain Bardet, qui a sauvé sa place sur le podium d’une petite seconde. Le chrono a été remporté par le Polonais Maciej Bodnar.
 
Froome va entrer dans l'Histoire.
Route du Tour, envoyé spécial.
Et le Vélodrome redevînt un antre cycliste.
Et Chris Froome se succéda à lui-même.
Et Romain Bardet sauva sa place sur le podium d’une toute petite seconde…
Trois phrases suffisaient à résumer un samedi de Tour à Marseille, qui accueillait un contre-la-montre inédit (22,5 km) comme ultime temps fort d’une édition ambivalente. Le tracé de ce chrono, plutôt prestigieux dans la cité phocéenne, partait du Vélodrome, longeait le littoral par la corniche, contournait le Vieux-Port avant un demi-tour au niveau du MuCEM (Musée des civilisations d'Europe et de la Méditerranée), puis il offrait une grimpette brutale, par la montée de la Bonne Mère (1200 m à 9,5 %), jusqu'à Notre-Dame de la Garde, pour enfin redescendre vers la mer et revenir sur le boulevard Michelet, retour au Vélodrome. Imaginez un peu. Le climat était même au rendez-vous, beau et chaud (30°C). Et pourtant, autant le dire crûment, avant toute autre considération: ce fut un échec!
 
Le chronicoeur ne parle pas là de la course. Encore que le parcours en lui-même mériterait un examen critique inventorié dans la mesure où il ressemblait plus à un prologue qu’à un exercice de puissance. Non, le chronicoeur évoque le succès populaire attendu, qui ne fut pas, mais pas du tout au rendez-vous! Les organisateurs attendaient plus de 60000 personnes dans le Vélodrome: celui-ci était au deux-tiers vide. Quant aux bords des routes, ceints sur leur totalité d’une double haie de barrières, la foule se devinait à peine dans les longues lignes droites, et la seule concentration de spectateurs se vit – dieu merci! – dans la côte de Notre-Dame de la Garde. Avec Marseille, qui hélas reçoit trop rarement la Grande Boucle, nous imaginions vivre une sorte d’apothéose à la veille des Champs-Elysées. Notre tristesse fut au moins à la hauteur de notre attente.
 
Mais revenons à la course. D’abord du côté de l’Histoire. Ce contre-la-montre, qui faisait donc office de dernière explication entre les favoris pour le titre, ne laissa finalement pas l'ombre d'un doute. Mais qui y croyait vraiment? Chris Froome (Sky), sans trop trembler, resta l’intouchable du Tour. 
 
Le leader des Sky profita même du court tracé pour facilement augmenter son avance sur ses compagnons de podium, échouant à s'imposer dans l’étape pour six secondes, derrière son coéquipier Michal Kwiatkowski et Maciej Bodnar (Bora), le vainqueur du jour. En franchissant la ligne d’arrivée au Vélodrome, le Britannique entra ainsi dans une nouvelle dimension que seule l’Histoire, donc, la grande Histoire du vélo, lui conférera officiellement, dès demain, à Paris. Il deviendra en effet le seul quadruple vainqueur de l’épreuve, derrière la bande des quatre quintuplés, Anquetil, Merckx, Hinault et Indurain (1). 
 
Sans doute Chris Froome n’avait-il jamais réalisé si clairement, que ce samedi 22 juillet, cette vertu de la victoire, jusque dans sa difficulté. Jamais n’avait-il craint comme cette année ce brusque dévoilement de la réalité. Car il va encore et encore triompher en jaune, mais cette fois sans avoir gagné une seule étape. D’aucun, comme Hinault, grandissent en s’arrachant dans les grimaces au sol de leur enfance. Lui, empile les années et les triomphes en jaune dans l’ardeur d’une domination calculée, maîtrisée, avec de la souffrance, certes, mais toujours avec cette impression de n’entrevoir rien de grave - sinon la victoire. Drôle de champion. Drôle d’exception. Drôle de champion d’exception… 
 
Et que dire, par ailleurs, de la détresse de Romain Bardet? Sur une distance aussi brève, l’une des images du jour fut pour le moins saisissante. Bien sûr, nous vîmes dès le début que le Français n’était pas dans le bon tempo, que les premiers temps intermédiaires s’avéraient cruels et qu’il traînait sa peine, harnaché à sa machine, luttant contre elle, dans la très difficile ascension vers Notre-Dame de la Garde. Mais quand, à l’approche du dernier kilomètre, nous l’aperçûmes à une centaine de mètres (à peine) devant Chris Froome, alors qu’il était parti deux minutes derrière lui, nous crûmes que l’humiliation suprême – être dépassé – allait se produire avant la ligne d’arrivée. Bonne Mère, ce ne fut pas le cas ! Mais d’un rien, d’un souffle, bref, de quelques mètres... Ce qui, entre parenthèses, ne changea rien au destin de Bardet: crédité d'un chrono très moyen, il céda la deuxième place du classement général au Colombien Rigoberto Uran… et sauva sa troisième place d'extrême justesse, l'Espagnol Mikel Landa, le lieutenant de Froome en montagne, venant échouer à 1 seconde du Français... Exténué après le chrono, bras ballants, Bardet lâcha quelques mots d’une voix déjà éteinte. «Je suis à bout, je suis fatigué, expliqua-t-il. J’ai rapidement vu que je n’étais pas dans le match. Je ne me suis pas senti bien au réveil. C’était délicat. J’ai pensé à mes équipiers, aux gens qui me soutiennent, je n’avais pas le droit de baisser les bras. » 
Sur ce Tour, il était décidément écrit qu’on conjuguerait les secondes à tous les temps, jusqu’au bout. L’une d’elles est restée favorable à Bardet. Trois semaines pour une seconde…

Ah! une dernière chose. A vingt-quatre heures des Champs-Elysées, le Français Warren Barguil, porteur du maillot à pois du meilleur grimpeur et vainqueur de deux étapes, a été désigné «coureur le plus combatif du Tour de France 2017», par le jury présidé par le directeur de course Thierry Gouvenou, avec, entre autre, l'ancien champion américain Greg LeMond pour invité d'honneur. Voilà une récompense «secondaire», mais que nous jugeons bien méritée. Au cœur de cet après-midi qui ménagea un suspens-sans-suspens, Barguil eut d’ailleurs l’une des rares attitudes «vraies» de la journée, très précisément lorsqu’il pénétra à l’intérieur du Vélodrome pour y achever son exercice en solitaire. Avant de franchir la ligne d’arrivée, il leva la tête, un éclatant sourire à ses lèvres. Puis il s’arrêta quasiment de pédaler, il salua ses supporters, comme s’il voulait savourer l’instant présent et ne rien gâcher. Ce geste ne valait pas grand-chose, mais il était gonflé. Et sincère.
Certains diront qu’on se contente de peu, mais le chronicoeur apprécia.

(1) Rappelons à toutes fins utiles, que Lance Armstrong a été déchu de ses sept succès dans la Grande Boucle, entre 1999 et 2005…

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