La victoire de Warren Barguil. |
Et soudain, les pourcentages s’accentuèrent entre les mélèzes. Et nous savions tout ou presque d’eux. Ce n’est pas pour devenir de simples cyclistes qu’ils pédalent, c’est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour, pour qu’enfin puisse débuter leur long monologue avec la souffrance. Les premiers de cordée du peloton, l’Espagnol Mikel Landa, le coéquipier de Chris Froome chez Sky, et son compatriote Alberto Contador (Trek) avaient encore des visages de chair qui ne disaient qu’une infime, si infime partie de ce qu’on aurait voulu qu’ils nous disent, même avant de se figer. Ils pénétrèrent en un lieu transformé en sanctuaire, l’un des rares de l’histoire du Tour. Ils venaient de quitter Massat, la route grimpait vers Péguère (1375 mètres, 9,3 km à 7,9%). Et ce fut à ce moment-là que la dramaturgie isolée de la course prit une tournure si belle qu’elle nous chavira le cœur et les yeux. Ils escaladèrent les trois derniers kilomètres d’un «mur» (jusqu’à 18%) creusé par une route si étroite que la présence du public était interdite pour des raisons de sécurité. Dans ces montagnes ensauvagées où chaque virage se prête à l’inattendu, nous voisinions avec les atours d’une grande tragédie sportive. Ils étaient seuls face à eux-mêmes en relevant leurs bustes et leurs têtes, en humant des bouffées des taillis frais, comme on tente de s’adoucir contre les heurts des châtiments infligés.
Au sommet de ce «mur» de Péguère, ils étaient exactement à 27 bornes de la ligne d’arrivée. Les circonstances avaient pris une tournure accélérée. En seulement 101 kilomètres, soit un format hyper court, l’étape en ligne la plus courte de cette édition offrait en effet trois ascensions, le peloton ayant déjà gravi les cols de Latrape (5,6 km à 7,3%), puis le col d’Agnes (1570 mètres, 10 km à 8,2%). Le ciel, endiablé et brumeux au petit matin, ne ronronnait plus. Partis à tombeau ouvert dès le départ, donné à 14h25, un horaire inhabituellement tardif, les cyclistes risquaient de franchir des seuils inconnus qui menaçaient de les meurtrir à tout instant, à un rythme si fou que nous nous frottions les yeux.
Les organisateurs avaient vu juste en tentant le pari de proposer une étape brève mais hyper intense, sans temps morts ni plat, dans la foulée d’une étape usante, jeudi 13 juillet, qui avait forcément entamé les réserves des rescapés. Les questions ne manquaient pas après le triomphe du Français Romain Bardet, à Peyragudes. «Il faudra que je sois bien entouré, disait-il hier matin au départ. L’équipe Astana d’Aru devrait prendre les commandes de la course.» Mais Chris Froome, débarrassé du maillot jaune, laisserait-il les commandes à Fabio Aru, qui ne dispose pas de la même armada? Les Sky mettraient-ils en place un nouveau schéma tactique? Toutes ces interrogations n’eurent pas vraiment de réponses, ce vendredi 14 juillet. Néanmoins, nous fûmes parfois interloqués par l’attitude de Froome, ici, légèrement décramponné et paraissant subir la pente, là, plaçant une attaque d’opérette si vaine que nous n’en comprenions le sens. Bref, à quoi jouait-il? Et surtout, pourquoi son équipe avait-elle placée Landa en tête de course? Etait-ce uniquement pour la gloire d’une hypothétique victoire d’étape? Ou Froome avait-il laissé carte blanche à son coéquipier, toujours bien placé au général, comme pour signifier qu’il n’était pas impensable de «passer la main» prochainement à un autre «leader»? Mystère…
Au sommet du fameux «mur» de Péguère, Contador et Landa n’étaient plus seuls au monde, perdus dans leur quiétude passagère. Revenus de l’arrière, deux des attaquants du jour, le Colombien Nairo Quintana (Movistar) et le Français Warren Barguil, porteur du maillot à pois, venaient de leur recoller aux basques. Le groupe maillot jaune, avec tous les favoris, pointait à environ deux minutes. Bien sûr, Romain Bardet, très attendu (trop attendu) sur ce terrain de chasse montagneux, avait bien essayé de tester ses rivaux, giclant dans la descente du col d’Agnes à la faveur d’une légère montée. Ce ne fut qu’un coup de pétard. Chris Froome sauta dans sa roue, avec le maillot jaune Fabio Aru et Rigoberto Uran. Sans surprise, le Français se contentera d’attendre les géants des Alpes, la semaine prochaine. Mais il pourra compter sur son équipe, qui dégage une belle sérénité, au moins à la hauteur de la maturité affichée par leur leader cette année. Son coéquipier Cyrille Gautier en témoignait ce matin dans l’Equipe: «Romain avait déjà soudé le groupe grâce à son podium à Paris l’an dernier. Le fait de l’avoir vu gagner l’une des plus belles étapes de ce Tour va nous pousser encore plus à nous surpasser. On connaît tous notre boulot, mais quand on sait qu’au bout il y a la victoire, c’est différent.»
Après la descente de Péguère, dévalée sans dommage, il fallut se disputer la victoire dans les rues de Foix. Allez savoir pourquoi, mais la présence d’un Français parmi les quatre échappés laissa comme une impression d’évidence. Donc de Fête écrite à l’avance. Car Warren Barguil ne se contenta pas de régler au sprint ses trois compagnons d'échappée, Quintana, Contador et Landa. Il les domina sans partage, se relevant même avant la ligne pour savourer le quatrième succès d'un coureur français depuis le départ de Düsseldorf. Et pas n’importe lequel, celui-là non plus. «J'avais de super jambes!», s’exclama Barguil, vainqueur pour la première fois sur le Tour. Rappelons que, dimanche dernier, à Chambéry, il avait été battu de justesse par le Colombien Rigoberto Uran, après examen d’une photo-finish improbable… «Je prends du plaisir comme jamais sur mon vélo, à attaquer comme je le faisais en amateur», ajouta le jeune Breton de 25 ans, que plus personne ne pouvait arrêter de parler, avant d’aller cueillir ses lauriers sur le podium… Signalons au passage que Fabio Aru et ses rivaux ont franchi la ligne avec un retard de 1’48’’. Au classement général, Landa, le lieutenant de Froome, s'est rapproché à la cinquième place, à 1’09’’ du maillot jaune, lequel a perdu son lieutenant danois Jakolb Fuglsang, diminué depuis sa chute sur la route de Pau et qui a préféré renoncé.
Inutile de le préciser, mais quand même: ce vendredi, jour de Fête nationale, le chronicoeur a parcouru l’intégralité du parcours proposé au peloton, et dans son véhicule, à la rencontre du Peuple du Tour, il eut sa dose – et plus encore – d’art féérique, de visages, de paroles et de fresques comme autant de preuves d’amour envers la Grande Boucle. Du bonheur aux éclats, visible, une impression de collectif, d’être si fort sur le bord des routes malgré les tourments de la vie quotidienne. Nous savons tout des cyclistes, rien ou si peu de choses du public, à peine entraperçu un jour de traversée en bleu-blanc-rouge dans cette France du Tour qui continue de dessiner les contours d’un Hexagone un peu fantasmé. Alors, à Foix, quand nous vîmes un Français brandir le bouquet du vainqueur, il pensa d’abord et avant tout à ces Français-là, honorés par un autre Français, un cycliste. Aucun tricolore n’avait gagné une étape un 14 Juillet depuis David Moncoutié, à Digne-les-Bains, en 2005. Forcément, sur le podium, il y eut une sorte de communion patriotique quand Barguil, ému, devint muet. Tous les silences ne se valent pas. Parfois le bruit alentour rend à ses propres silences une forme non dite d’apaisement.
Je lis vos articles sur le tour tous les jours. Ils me rappellent les Blondin, Chany, Besson etc. La grande classe! Dans ce temps où le Macronisme gouverne il est rafraîchissant de lire vos articles - même dans le sport. J'aime aussi l'Huma, mais on ne peut pas l'acheter en Allemagne. Quand je suis en France je l'achète toujours.
RépondreSupprimerRobert
Merci infiniment.
RépondreSupprimerJED