dimanche 12 mars 2017

Les idées, bordel !

Les électeurs vraiment de gauche ne voteront pas, cette fois, sous la pression de certitudes qui n’en sont pas.
 
Six semaines… Sans céder à l’espèce de sidération généralisée qui provoque des regards en biais sur une campagne qui ne ressemble décidément à aucune autre, oui, vous avez quand même bien lu: il reste quarante-deux jours avant le premier tour de la présidentielle. Et comme chacun peut le constater avec plus ou moins d’amertume, les débats politiques et médiatiques oscillent entre l’hystérie généralisée et une forme de grand jeu soi-disant ludique, façon PMU ou Loto sportif, où chacun y va de son pronostic en misant sur les scénarios anticipés d’un résultat pourtant aléatoire, comme le pratiquent les pires bookmakers de pays voisins… Combien de temps encore cela durera-t-il? Combien de temps faut-il à une société démocratique comme la nôtre pour encaisser le choc inouï d’une confrontation quasi confisquée, pour enfin dépasser l’émotion du grand n’importe quoi et s’autoriser une prise de hauteur qui permettrait de retrouver collectivement le chemin de la pensée et de la raison? Alors que la moitié des électeurs potentiels ne savent toujours pas s’ils iront voter et pour qui, sinon pourquoi, nos esprits éprouvés de tristesse, de colère parfois, de peur aussi, sont sommés de n’avoir qu’un seul horizon: se déterminer en fonction du monde FN. Sauter les étapes. Céder à tout. Et pourquoi pas se jeter soi-même par-dessus bord…
 
Il n’y a rien de pire que les évidences qu’on cherche à nous imposer. Ainsi, il n’y aurait pas d’alternative à la vague brune forcément irrépressible, pas d’autre système possible que le libéralisme – doux ou sauvage –, pas d’autre avenir européen que celui de Merkel-Hollande-Macron et, bien sûr, pas d’autres candidats crédibles que ceux dont les sondages – fumisterie – nous claironnent qu’ils seront assurément au second tour. Et les idées, bordel! Pourquoi votons-nous? Pour la mise en place de minables stratégies dont les Français ne veulent d’ailleurs plus, autant de basses manœuvres commanditées qui caractérisent, plus que jamais, la fin de l’ancien régime et la faillite d’une Ve République à bout de souffle? Ou votons-nous pour des idées? Notre conviction est simple: les électeurs vraiment de gauche ne voteront pas, cette fois, sous la pression de certitudes qui n’en sont pas. C’est sérieux, la politique.
 
[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 13 mars 2017.]

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