Article invité: par Bernard Gensane, du Club Mediapart
Rédacteur en chef du quotidien l’Humanité, Jean-Emmanuel Ducoin est l’un des meilleurs chroniqueurs du cyclisme français actuel. Je cite régulièrement son blog, dans ma revue de presse. Il fut proche de Laurent Fignon, de Cyrille Guimard et, pour ce présent et remarquable ouvrage, a quelque peu côtoyé Bernard Hinault.
"Bernard, François, Paul et les autres", éditions Anne Carrière
(prix Louis-Nucéra 2016).
Né en 1966, Ducoin avait donc 19 ans lorsque Hinault remporta son cinquième et dernier Tour de France en 1985. Le jeune homme va accompagner cette épopée dramatique (Hinault se blessa durement au visage dans l’étape de Saint-Etienne) en compagnie de son grand-père,
groupie de François Mitterrand, alors que lui, militant communiste lucide, ne passe rien aux socialistes qui ont fait le choix de “L’Europe, l'Europe, l'Europe” (comme disait De Gaulle) contre les intérêts des classes populaires. On l’a compris: ce livre sur le cyclisme s’inscrit – comme on dit – dans un contexte social et politique qui n’a guère changé depuis, celui de la prise en main de la politique mondiale par le capitalisme financier. Longwy s'effondre, le savoir-faire sidérurgique français disparaît à jamais. La classe ouvrière lorraine meurt à moyen feu sous un gouvernement de gauche, sous l’autorité de Louis Schweitzer (petit-neveu d’Albert Schweitzer et de Charles Munch, cousin de Jean-Paul Sartre, mais ceci est une autre histoire), directeur de cabinet du ministre de l’Industrie Fabius, qui enverra 21 000 lettres de licenciement, comme autant de flèches assassines, à des travailleurs «blêmes » qui se souvenaient que Giscard et Barre avaient nationalisé Usinor et Sacilor pour repousser une liquidation industrielle néanmoins voulue. La CFDT va jouer un rôle mortifère et grotesque. Ancien responsable syndicaliste, Jacques Chérèque, le père moustachu de son fils zozotant, devenu «préfet délégué pour le redéploiement industriel en Lorraine» propose des Schtroumpfs pour remplacer les laminoirs! Deux ans et 107 millions de francs de déficit plus tard, la couillonnade à Schtroumpfs fait faillite. En 1995, il ne reste plus que 500 métallurgistes dans le bassin de Longwy.