samedi 19 mars 2016

Amen(s): l'Eglise de France face à la pédophilie

L’affaire de Lyon débute à peine. Les révélations sur le silence volontaire et l’inertie des responsables du diocèse de Lyon nous en disent long. Et s’il n’y avait pas que des cas isolés, mais bien des pratiques systématiques, à une échelle bien plus vaste?

Le cardinal Philippe Barbarin.
Briser. Qui a côtoyé de près les institutions de l’Église sait que les affaires graves se règlent toujours de deux manières. Primo: soit dans l’intimité de la famille ecclésiastique, au plus près des intérêts de ceux qui guident le chemin vers la foi, puisqu’ils sont les représentants de la parole divine et incarnent physiquement le sacré vénéré, qu’à aucun prix nous ne saurions remettre en cause. Secundo: soit directement dans le secret avec le Très-Haut, dans un tête-à-tête que rien ni personne ne doit perturber ou influencer. La parole confinée d’un côté; la prière de l’autre. Rideau. Qui a vu Spotlight, le prodigieux film de Tom McCarthy récemment oscarisé, qui relate dans le détail le combat d’une équipe de journalistes du Boston Globe pour briser l’obstruction de la hiérarchie de l’Église catholique concernant les affaires de pédophilie au sein du clergé local, sait ce qu’il en coûte de s’attaquer à ce qui, en apparence, ne peut être attaqué moralement, étant la morale même. Voilà ce qui arrive aux victimes d’un prêtre du diocèse de Lyon. Une sorte de chemin de croix.

Scandale. À lire attentivement tous les articles consacrés à l’«affaire de Lyon», le père Bernard était aimé de tous, pour son dévouement, son charisme, son charme intellectuel rivé sur la conviction du message christique. Arrivé au début des années 1970 à Sainte-Foy-lès-Lyon, petite commune de la banlieue située de l’autre côté du Rhône, pas loin du stade de Gerland, il devint animateur du groupe de scouts de la paroisse et aumônier de collège. Il glissait souvent à ses ouailles: «Tu es mon préféré, c’est notre secret.» Des préférés, il en avait beaucoup. Des secrets aussi, à peu près toujours les mêmes, vécus sous les toiles de tente, aux abords de l’église ou carrément dans le saint des saints. Quelques-uns décrivent «l’escalier à droite». D’autres, «la pièce sombre du premier étage». Qu’importent les lieux. Nous voyons très bien la répétition des scènes odieuses, les mains qui parcourent, hésitantes, les mots qui rassurent, précis, les visages des petits garçons, terrorisés, poussés contre le ventre d’un homme à l’habit consacré paré de toute-puissance. Le père Bernard a depuis reconnu de nombreuses agressions sexuelles sur de jeunes enfants qu’il encadrait. Mieux, il avoue avoir informé ses supérieurs de son penchant sexuel dès ses années de séminaire. Ordonné en 1971, il officie, après une psychothérapie, durant deux décennies à Sainte-Foy-lès-Lyon, et encadre jusqu’à quatre cents mineurs les belles années. Depuis quelques semaines, les « préférés» du père Bernard sortent enfin de l’ombre. Beaucoup parlèrent jadis à leurs parents, souvent en vain. «Cela devait être de la gentillesse», assura par exemple une mère. Certains ont tenté d’oublier, poursuivant leur vie, fondant des familles, persuadés que le prêtre était vieux, mort, en tous les cas éloigné des jeunes. Pas du tout. Malgré la rumeur et de nombreux témoignages concordants livrés au fil des années à ses supérieurs, le père Bernard a poursuivi ses activités jusqu’au 31 août 2015, à la tête de trois paroisses différentes. Comment ne pas s’étonner –mais comment s’étonner?– de la passivité de la hiérarchie du diocèse du primat des Gaules. D’où le scandale en cours, le vrai premier de cette nature en France. Un scandale qui éclabousse à juste titre le cardinal Philippe Barbarin, en charge à Lyon depuis 2002. Au moins pour une raison: pouvait-il ne pas savoir? Lassée, l’une des victimes a fini par écrire au pape, puis au procureur, qui a ouvert une enquête préliminaire, notamment pour «non-dénonciation d’atteintes sexuelles infligées à des mineurs de 15 ans». L’affaire débute à peine. À Lyon comme ailleurs. Une association, La Parole libérée, créée en décembre dernier, recense les témoignages. Depuis, les messages affluent. Combien d’enfants humiliés ? Combien de prêtres bientôt accusés? Les révélations sur le silence volontaire et l’inertie des responsables du diocèse de Lyon nous en disent long. Comme dans Spotlight, posons la bonne question: et s’il n’y avait pas que des cas isolés, mais bien des pratiques systématiques, à une échelle bien plus vaste? Amen.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 18 mars 2016.]

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