jeudi 18 décembre 2014

Révolution(s): dans le fourre-tout des questionnements actuels

Pourquoi les inégalités de revenu ont des conséquences sur la croissance.
 
OCDE. Regarde ton époque, je te dirai ce que tu vis; regarde le monde, je te dirai comment tu vis… Un matin, vous vous réveillez en sursaut et, sans savoir pourquoi, comme pris d’une lucidité renouvelée, vous constatez que le chemin parcouru s’est transformé imperceptiblement en pente. Réfléchissez un instant. Vous finirez par admettre une réalité à la fois banale et terrifiante: l’époque est à la pente involutive. Puis vous douterez de cette conclusion hâtive, sinon par contradiction, au moins par prudence.
Alors vous déciderez de plonger dans les chiffres et les statistiques. Une étude de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), publiée la semaine dernière, vient à propos. Sobrement intitulé «Tendances de l’inégalité des revenus et son impact sur la croissance», ce document de travail devrait être enseigné en urgence dans toutes les écoles d’économie. La donnée de base est simple: le revenu disponible des ménages a augmenté en moyenne de 1,6% par an dans les vingt à vingt-cinq années qui ont précédé la crise de 2008 dans l’ensemble des 34 pays de l’OCDE. Seulement voilà, cette statistique en apparence positive est à mettre en relation avec une autre: aujourd’hui, le revenu des 10% les plus riches est en moyenne 9,5 fois plus élevé que celui des 10% les plus pauvres. Dans les années 1980, ce ratio était inférieur à 7. Jamais le fossé entre riches et pauvres n’a été aussi prononcé dans les pays les plus «avancés». Nous parlons bien là d’inégalités.
Aux États-Unis, par exemple, 5% des plus riches captent plus de la moitié du revenu national ; il s’agit d’un retour à une répartition de la richesse semblable à celle du début du XXe siècle. Mais ce n’est pas tout. Car le grand intérêt de ce rapport, que nous devons à un économiste de la Banque d’Italie détaché à l’OCDE, Federico Cingano, c’est qu’il détaille les conséquences sur l’économie réelle de ces inégalités de revenu, qui auraient «une incidence négative, statistiquement significative, sur la croissance à moyen terme». Vous avez bien lu. D’après les calculs de Federico Cingano, l’aggravation des inégalités aurait coûté au moins 0,35 point de croissance par an sur vingt-cinq ans, soit une perte cumulée de PIB de 8,5%. Durant cette période, les États-Unis auraient ainsi perdu 7 points de croissance, le Royaume-Uni près de 9… Moralité: une meilleure redistribution des richesses permet plus de consommation, plus d’activités, plus de santé publique, plus de mobilité sociale, plus d’éducation… donc plus de croissance! L’explosion des inégalités mine nos sociétés. Même l’OCDE l’affirme désormais. L’OCDE sera-t-il écouté par les puissants?

CSA. Profitons de l’instant de grâce idéologique pour appuyer là où ça fait mal –très mal même. Un sondage réalisé par l’institut CSA, publié lui aussi la semaine passée, donne l’entr’aperçu d’une France plus complexe qu’imaginée. Dans le fourre-tout des questionnements actuels, il n’est pas anodin, en effet, de savoir que «le changement» est une notion positive pour 87% des Français, et que pas moins de 57% trouvent que «la révolution» – oui, oui, la révolution – est une bonne idée. Si l’on ajoute que 82% de nos concitoyens se prononcent «pour» un impôt sur le revenu progressif selon ses revenus, que 70% sont «favorables» à un système de Sécurité sociale géré par l’État et que 60% sont «d’accord» pour un système de retraite par répartition, nous nous disons que tout n’est sans doute pas perdu. Rappelons que, entre 2008 et 2011, près d’un million de personnes supplémentaires sont passées sous le seuil de pauvreté en France. Ils sont plus de 9 millions en 2014. Question: et si la colère produisait, tôt ou tard, autre chose que des peurs et des replis nationalistes et xénophobes?
 
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 19 décembre 2014.]

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